"Parlons argent" mars 2010 Intervention à l'EHESS au séminaire PdS
Jean Fabbri • 30 mars 2010
Séminaire "Politique des sciences" mars 2010
Séminaire "Politique des Sciences" à l'EHESS en mars 2010
Dans le bref temps de cet exposé, je ne vais pas contextualiser exagérément la problématique « Parlons argent », et je renvoie bien évidemment aux séances précédentes (voir le site du séminaire), à quelques articles que j’ai publiés sur des sujets complètement au cœur de cet exposé ou sur des sujets connexes, sur le site du SNESUP (www.snesup.fr), dans L’Humanité en janvier dernier[1], dans Le Monde en avril 2009, en particulier sur la question essentielle de la création d’emplois statutaires dans l’enseignement supérieur et la recherche[2]. Sur les enjeux de la loi « Libertés et Responsabilités des Universités » de 2007 et en particulier des sciences humaines, on pourra lire ma contribution dans la Revue Européenne « Histoire & Société », novembre 2008.
Mon point de vue est bien sûr celui d’un dirigeant syndical, ancien secrétaire général du SNESUP, de 2005 jusqu’en avril dernier (par choix politique de ne pas m’installer dans ces fonctions). Au-delà, il est clair et sain de dire d’où je parle : je suis avant tout universitaire, mathématicien, maître de conférences, je suis encore le chef de file des élus SNESUP à la fois au CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) et au CTPU (Comité technique paritaire des personnels de statut universitaire). Je rappellerai que le CTPU a été pour partie un élément majeur de résistance au passage en force de la ministre l’année dernière lorsque le gouvernement voulait démanteler le statut des enseignants-chercheurs. Je suis en poste à Tours et j’illustrerai mon propos avec cette université, en ce qui concerne un certain nombre d’enjeux financiers, Tours étant une université pluridisciplinaire de taille moyenne.
Je vais présenter mon exposé introductif en trois parties : Les faits récents et les chiffres[3] ; une tentative d’analyse et, enfin, l’énoncé d’autres choix possibles.
Les faits récents et les chiffres
Mieux vaut avoir en tête un certain nombre de chiffres, d’ordres de grandeur. Il importe de voir l’ensemble des chiffres et pas seulement ceux distillés par le pouvoir, qui par leur imbrication, servent à la communication du gouvernement, de la ministre en particulier et, quand il le faut, du président de la République. Pour le pouvoir actuel, il s’agit d’annoncer, d’illustrer avec des diagrammes dont les échelles ne sont jamais les mêmes, des augmentations phénoménales.
Le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche pour 2010, c’est 29,1 milliards d’euros. Comme tous les budgets, cette somme se répartit en fonctionnement, investissement, salaires, en autorisations de programmes et crédits de paiement. Ces derniers sont, pourrait-on dire, du consistant, du solide. Ce sont nos salaires, notamment. Les autorisations d’engagement, quelquefois, sont plus floues. En particulier, depuis plusieurs années, on assiste à des annulations de crédits qui sont tout sauf négligeables (270 millions en 2008, 420 en 2009).
Un autre chiffre : la part de la recherche et de l’enseignement supérieur dans le PIB est de 2,32% en 2008. Cela fait maintenant plus de dix ans que l’objectif de 3% est assigné aux pays d’Europe et la France l’a fait sien. Elle en est très loin, puisque de 2,40% notre pays est descendu à 2,16 avant de remonter un tout petit peu. L’objectif de 3% a été encore réaffirmé la semaine dernière, lors de la rencontre des ministres européens de l’enseignement supérieur et de la recherche[4]. Mais il s’agit plus d’une annonce que de moyens véritablement mis en œuvre pour atteindre cet objectif.
Le plan campus lancé après la loi LRU, avant le Grand emprunt, mais avec le plan de relance, représente 3,5 milliards d’euros sur plusieurs années. Cet argent est essentiellement disponible sous la forme de partenariats-public-privé (PPP). Le « Grand emprunt » pour l’enseignement supérieur, et aussi pour une toute petite partie de l’Education, c’est 11 milliards d’euros. Ce ne sont pas des crédits consommables, mais des montants placés sur les marchés financiers. Seuls les intérêts de ces placements sont censés alimenter un certain nombre d’interventions, en particulier sur le domaine immobilier, universitaire. En matière de recherche, le montant est de 8 milliards.
En espérant un rendement de 3,5% de ces 11 milliards, cela rapporterait en gros 300 millions d’euros par an : c’est à peine la dérive annuelle d’inflation sur un budget de 29 ,1 milliards d’euros. Mais il s’agit d’un emprunt. A un moment donné, assez vite, viendra le coût de son remboursement.
Enfin, qu’est-ce que le budget des universités ? J’ai pris l’exemple de Tours. C’est une université de taille moyenne, environ 22 000 étudiants, 1000 enseignants-chercheurs, 300 enseignants, 500 personnels BIATOSS, côté personnels statutaires. Il y a aussi 400 personnels vacataires. Le budget 2009, c’est à dire avant le passage aux Responsabilités et Compétences Elargies (RCE) que la majorité du CA a voté début janvier 2010, s’élevait à 57 millions d’euros. Avec les compétences élargies, donc en intégrant la masse salariale des personnels de statut fonctionnaire, le budget passe à 206 millions d’euros. A côté, Lyon-I, université de taille plus importante, et essentiellement scientifique, dont les engagements ne sont pas de même nature, a un budget de 357 millions d’euros.
Autre élément de débat quand il est « question d’argent », les salaires pour les enseignants-chercheurs. Le salaire net d’embauche, est de l’ordre de 1700 euros ; en fin de carrière pour un maître de conférences hors classe, il s’élève à 3550 euros ; et fin de la classe exceptionnelle d’un professeur, c’est 5000 euros (mais c’est très loin d’être le salaire de fin de carrière de la majorité des collègues eu égard, notamment, à la relative rareté de ces postes).
Maintenant, quelques remarques.
1°) Sur un budget d’à peu près 30 milliards d’euros, pour maintenir le « pouvoir d’achat » de ce budget, avec une inflation de l’ordre de 3%, il faut ajouter quasiment un milliard. Donc, chaque année où les ministres nous annoncent 1 milliard de plus par an, comme il y a 3% d’inflation, c’est en gros un pouvoir d’achat maintenu. Encore qu’il faille regarder de plus près car le gouvernement consacre une part croissante au Crédit Impôt Recherche.
2°) Pour apprécier les chiffres que je viens d’évoquer, il convient d’avoir des éléments de comparaison, des ordres de grandeur. Ainsi, un porte-avion nucléaire coûte 15 milliards d’euros, un avion Rafale : 140 millions d’euros ; le « paquet fiscal 2007 », dont on parle encore, revient à 14 milliards d’euros, la réduction de la tva sur l’hôtellerie-restauration, représente 4 milliards d’euros…les profits semestriels du groupe pétrolier Total, en 2008, c’étaient 5,9 milliards au premier semestre et 6,2 au second. Les profits annuels en 2009 du groupe Sanofi-Aventis s’élèvent à 8,5 milliards d’euros, pendant que ceux de BNP-Paribas atteignent 4,7 milliards. Globalement, pour les entreprises du Cac 40, pour 2009, les profits sont de 49 milliards d’euros. Un autre élément : les bonus des traders sur la place de Paris s’élèvent en moyenne à 250 000 euros par tête.
Pour comparer les salaires de l’enseignement supérieur et de la recherche, j’ai pris pour comparaison les salaires dans la chimie. L’éventail des salaires n’est pas très loin du nôtre : entre 30 000 et 60 000 euros en gros pour 95% des salariés de type ingénieurs/cadres. Si l’on regarde par rapport au salaire terminal annuel pour un professeur de classe exceptionnelle, j’ai déjà cité 5000 euros par mois, en multipliant par douze, vous retombez sur ce chiffre. C’est donc comparable. Quant aux revenus annuels moyens d’un médecin libéral, ils s’élèvent à 81 000 euros. De l’autre côté, le salaire mensuel moyen d’un médecin salarié, est de 3200 euros. Dans le secteur « éducatif » le salaire moyen d’un enseignant du premier et du second degré est de 2050 euros. Enfin le Smic mensuel 35 heures, c’est 1056 euros. Un autre élément d’appréciation est apporté par l’indicateur du rapport entre le salaire d’embauche d’un maître de conférences et le smic, le rapport entre ces deux salaires a décru de 2 à 1,6 et s’est stabilisé à 1,6 entre 1990 et 2010. Il y a eu une très légère reprise après les évolutions indiciaires que je mentionnerai tout à l’heure. Donc voilà pour les comparaisons nationales.
Je n’évoquerai que brièvement les comparaisons internationales pour souligner les écarts sur la part de PIB consacrée à la recherche et aux formations supérieures. D’autres pays, Chine, Inde, Corée du sud, Israël et des pays nordiques voient augmenter de manière continue et même au-delà des 3% leurs dépenses en matière de recherche et d’enseignement supérieur.
Quelques éléments d’analyse
Les chiffres disent le bouleversement considérable des enjeux de financement, mais interrogent plus fondamentalement sur les missions, la nature du travail universitaire et son organisation, sur la nature des rémunérations dans le supérieur et la recherche. On peut analyser qu’il y a de fait une tentative de faire sortir l’enseignement supérieur et la recherche du service public historique, tel qu’il a émergé de l’après-guerre en France ; c’est à dire avec une logique d’intérêt général, de liberté scientifique et à ces fins de statut protecteur des personnels, de cohérence et de dimension démocratique dans l’organisation, dans la gestion des institutions, dans la définition des projets de recherche, comme dans l’attention, collective et non pas individuelle, portée aux carrières des personnels. Les chiffres éclairent le transfert massif des coûts de la recherche, du privé vers le public. Cela comprend plusieurs aspects : d’abord, l’affaiblissement en volume des dépenses -et aussi donc du nombre de salariés- que les entreprises du secteur public ou proches de celui-ci et les entreprises privées effectuent. Le secteur R&D des entreprises a singulièrement fondu sous plusieurs coups de boutoir. Le premier est d’importance majeure : il s’agit des restructurations et abandons industriels, dans lesquels les logiques dites d’économie d’échelle ont fait fusionner les centres de recherche et développement et, le plus souvent, l’emploi a considérablement souffert. C’est vrai dans la chimie, dans l’automobile, dans la pharmacie et dans bien d’autres domaines. De plus en plus, les fonds publics sont sollicités par les entreprises, via des participations directes ou mises à disposition de ressources en matériel ou en salariés chercheurs hautement qualifiés. De plus par divers biais, l’ANR ou d’autres, bien des projets scientifiques portés par des établissements scientifiques, relèvent de sujets de recherche, fondamentaux ou finalisés, qui intéressent directement et immédiatement le secteur privé. C’est le cas en particulier pour tout ce qui relève du financement de la recherche finalisée et des pôles de compétitivité. Dans ce panorama on doit mentionner la part considérable prise par l’hypocrite « crédit impôt recherche », qui est certes un crédit d’impôt mais qui n’a souvent rien à voir avec la recherche puisqu’il est avant tout déclaratif (et qu’il y a extrêmement peu de contrôles).
De manière essentielle, il me semble, par l’intermédiaire d’un pilotage très sélectif des répartitions de l’ « argent budgétaire », il y a une remise en cause profonde des missions et de la conception globale des métiers intellectuels qui sont ceux d’enseignants-chercheurs, de chercheurs, des personnels techniques et administratifs qui travaillent dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Les deux missions fondamentales –recherche et formation- s’inscrivent dans des dynamiques collectives avec l’attachement aux notions d’équipes de recherche, de laboratoires, de départements d’enseignement aussi. Toutes ces dimensions collectives sont mises à mal. Il y a désolidarisation des individus comme des structures, avec une confusion qui est lourde de sens entre émulation, compétition, concurrence. En glissant du premier terme vers le dernier, les logiques idéologiques dominantes et leurs bras armés gouvernementaux font s’affronter les institutions, les classent, comme ils hiérarchisent les individus. Il faut mesurer le bouleversement du côté des personnels vers une conception des métiers quasi libérale, avec une tarification qui tend à devenir une tarification à l’acte des activités d’enseignement et de recherche. Regardons comment cela s’est peu à peu institué, avec la part individuelle du BQR (bonus qualité recherche), avec l’amplification du nombre et du montant des primes dont la liste est très longue. Instaurées en 2009 les PES (primes d’excellence scientifique, d’un montant de 3000 à 15 000 euros) font justement débat aiguisé par le refus d’un certain nombre de collègues de cette logique d’individualisation et de concurrence. Mais à côté des PES, qui prennent en gros la succession des PEDR (primes d’encadrement doctoral et de recherches), même si leur champ s’élargit aux personnels chercheurs, dans l’enseignement supérieur il y a les PCA (primes de charge administratives), les PRP (primes de responsabilité pédagogique). Sur ce dernier terme le mot « responsabilité » met l’accent non pas sur l’engagement pédagogique –y compris dans sa dimension innovante – des collègues, mais sur la façon dont ils participent à une logique managériale. On doit aussi évoquer les « chaires-mixtes », les emplois contrats ANR qui produisent des effets salariaux temporaires…et puis il y a vraiment des tarifications à l’acte, d’expertise individuelle ou collective, que ce soit dans le cadre de l’AERES, ou dans les commissions liées au classement des collègues qui demandent la PES…et dans certains établissements (Dauphine, au moins dans le domaine des sciences de gestion (section 6 du CNU)) les collègues bénéficient de primes à la publication. Cette logique est extrêmement inquiétante : ni les collègues ni l’opinion n’en mesurent l’impact.
Ces faits ne peuvent occulter que s’exprime aussi dans le pays, avec des moments forts, une résistance de longue durée au démembrement du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche comme au décrochage économique, à la désindustrialisation et aux logiques financières que j’évoquais tout à l’heure. Les luttes universitaires, qu’elles soient portées par les enseignants-chercheurs, les chercheurs et les personnels, ou davantage portées par les étudiants comme sur la question du CPE (contrat première embauche) ont toutes mis en avant le refus de la précarité des jeunes, le refus de l’individualisation des salaires. L’enjeu brutal du passage de la reconnaissance des diplômes délivrés par les institutions universitaires publiques à la reconnaissance par les employeurs de ce qu’ils appellent les « compétences » traverse cet aspect comme toutes les questions d’emploi. Il y a là un enjeu considérable présent dans la bataille gagnée contre le CPE comme dans ce que nous avons fait dans l’unité des forces syndicales et de la communauté scientifique pour nous opposer au démantèlement des organismes de recherche, à la diminution du nombre de chercheurs, qui avait été envisagée dans les années 2003-2004. Les créations obtenues alors, le gel des suppressions d’emplois pour les années 2008-2010 ne sont pas rien. Ce gouvernement va aller vers les 100 000 emplois publics supprimés en quatre ans, la résistance qu’il a rencontrée dans notre secteur est une donnée que l’on ne doit pas gommer tout comme le maintien du statut national des enseignants-chercheurs arraché en mars dernier avec des revalorisations (insuffisantes certes) des débuts de carrière des maîtres de conférences, et l’élargissement assez net des possibilités de promotions.
Les perspectives
Il me semble que dans le débat de ce début de XXI ème siècle, il s’agit de ne pas découpler l’aspect recherche publique/enseignement supérieur de l’aspect recherche effectuée au sein des entreprises. En France il faut stopper la dégradation permanente de la situation de l’investissement scientifique des entreprises : cela présente des enjeux considérables en matière de constitution de centres de R&D, mais aussi sur tous les aspects de la vie intellectuelle. La question de la convergence institutionnelle et dans les financements de l’ensemble des voies de l’enseignement supérieur ne peut plus être différée. A court terme la mise en œuvre d’un plan pluriannuel de recrutements de personnels statutaires pour le supérieur et la recherche est incontournable et de fait moins onéreuse et scientifiquement bien plus vitalisante que les aléas du « grand emprunt ».
La plupart des formations de recherche, masters recherche, sont affaiblies parce qu’il n’y a pas un effort poussé par la nation de valoriser l’engagement scientifique dans toutes ses dimensions et toutes les disciplines. Là aussi les logiques de « créneaux d’excellence » comme celles de « niches d’innovation » sont des non-sens dans la temporalité objective de l’avancée des savoirs académiques ou appliqués. Il y a, je crois, un travail qui nous incombe qui est à la fois politique et pédagogique et, en même temps, un travail d’absolue résistance pour défendre les dimensions collectives et collégiales de l’enseignement supérieur et de la recherche. En effet on doit noter le caractère simultané des désengagements financiers de l’Etat, votés régulièrement par le parlement, et l’émergence et la consolidation d’une logique managériale de très pauvre qualité. En témoigne p.e. la version intermédiaire du rapport Aghion[5] qui est un tissu de bêtises, de contre-vérités d’une doxa libérale sans aucune originalité qui se prétend en capacité de transformer en profondeur les logiques et la structuration de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je pense que notre résistance collective sur ce terrain idéologique est très insuffisante. Il va de soi que les batailles pour l’organisation d’une résistance plus cohérente, avec les autres catégories de salariés, sont aussi essentielles.
[1] Cf. L’Humanité, « un monde universitaire diversifié et ouvert », 21 février 2009 (http://tinyurl.com/yj3uehn) et 22 janvier 2010 « Les enjeux politiques d’un moment à la dimension collective indéniable » (http://tinyurl.com/yk2l6ru).
[2]Le Monde, « Université : sortir de la crise par l’emploi », 9 avril 2009. Voir également Libération (débat avec Valérie Pécresse) 30 mars 2009. Le débat est disponible ici : http://tinyurl.com/yzoehcl
[3] Les données chiffrées proviennent du site du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ou de l’INSEE
[4] Il s’agit de la Conférence des Ministres de l’Education de l’Union Européenne, qui s’est tenue du 11 au 14 Mars 2010 à Vienne, en Autriche.
[5]Cf. http://www.fabula.org/actualites/article35544.php
Dans le bref temps de cet exposé, je ne vais pas contextualiser exagérément la problématique « Parlons argent », et je renvoie bien évidemment aux séances précédentes (voir le site du séminaire), à quelques articles que j’ai publiés sur des sujets complètement au cœur de cet exposé ou sur des sujets connexes, sur le site du SNESUP (www.snesup.fr), dans L’Humanité en janvier dernier[1], dans Le Monde en avril 2009, en particulier sur la question essentielle de la création d’emplois statutaires dans l’enseignement supérieur et la recherche[2]. Sur les enjeux de la loi « Libertés et Responsabilités des Universités » de 2007 et en particulier des sciences humaines, on pourra lire ma contribution dans la Revue Européenne « Histoire & Société », novembre 2008.
Mon point de vue est bien sûr celui d’un dirigeant syndical, ancien secrétaire général du SNESUP, de 2005 jusqu’en avril dernier (par choix politique de ne pas m’installer dans ces fonctions). Au-delà, il est clair et sain de dire d’où je parle : je suis avant tout universitaire, mathématicien, maître de conférences, je suis encore le chef de file des élus SNESUP à la fois au CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) et au CTPU (Comité technique paritaire des personnels de statut universitaire). Je rappellerai que le CTPU a été pour partie un élément majeur de résistance au passage en force de la ministre l’année dernière lorsque le gouvernement voulait démanteler le statut des enseignants-chercheurs. Je suis en poste à Tours et j’illustrerai mon propos avec cette université, en ce qui concerne un certain nombre d’enjeux financiers, Tours étant une université pluridisciplinaire de taille moyenne.
Je vais présenter mon exposé introductif en trois parties : Les faits récents et les chiffres[3] ; une tentative d’analyse et, enfin, l’énoncé d’autres choix possibles.
Les faits récents et les chiffres
Mieux vaut avoir en tête un certain nombre de chiffres, d’ordres de grandeur. Il importe de voir l’ensemble des chiffres et pas seulement ceux distillés par le pouvoir, qui par leur imbrication, servent à la communication du gouvernement, de la ministre en particulier et, quand il le faut, du président de la République. Pour le pouvoir actuel, il s’agit d’annoncer, d’illustrer avec des diagrammes dont les échelles ne sont jamais les mêmes, des augmentations phénoménales.
Le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche pour 2010, c’est 29,1 milliards d’euros. Comme tous les budgets, cette somme se répartit en fonctionnement, investissement, salaires, en autorisations de programmes et crédits de paiement. Ces derniers sont, pourrait-on dire, du consistant, du solide. Ce sont nos salaires, notamment. Les autorisations d’engagement, quelquefois, sont plus floues. En particulier, depuis plusieurs années, on assiste à des annulations de crédits qui sont tout sauf négligeables (270 millions en 2008, 420 en 2009).
Un autre chiffre : la part de la recherche et de l’enseignement supérieur dans le PIB est de 2,32% en 2008. Cela fait maintenant plus de dix ans que l’objectif de 3% est assigné aux pays d’Europe et la France l’a fait sien. Elle en est très loin, puisque de 2,40% notre pays est descendu à 2,16 avant de remonter un tout petit peu. L’objectif de 3% a été encore réaffirmé la semaine dernière, lors de la rencontre des ministres européens de l’enseignement supérieur et de la recherche[4]. Mais il s’agit plus d’une annonce que de moyens véritablement mis en œuvre pour atteindre cet objectif.
Le plan campus lancé après la loi LRU, avant le Grand emprunt, mais avec le plan de relance, représente 3,5 milliards d’euros sur plusieurs années. Cet argent est essentiellement disponible sous la forme de partenariats-public-privé (PPP). Le « Grand emprunt » pour l’enseignement supérieur, et aussi pour une toute petite partie de l’Education, c’est 11 milliards d’euros. Ce ne sont pas des crédits consommables, mais des montants placés sur les marchés financiers. Seuls les intérêts de ces placements sont censés alimenter un certain nombre d’interventions, en particulier sur le domaine immobilier, universitaire. En matière de recherche, le montant est de 8 milliards.
En espérant un rendement de 3,5% de ces 11 milliards, cela rapporterait en gros 300 millions d’euros par an : c’est à peine la dérive annuelle d’inflation sur un budget de 29 ,1 milliards d’euros. Mais il s’agit d’un emprunt. A un moment donné, assez vite, viendra le coût de son remboursement.
Enfin, qu’est-ce que le budget des universités ? J’ai pris l’exemple de Tours. C’est une université de taille moyenne, environ 22 000 étudiants, 1000 enseignants-chercheurs, 300 enseignants, 500 personnels BIATOSS, côté personnels statutaires. Il y a aussi 400 personnels vacataires. Le budget 2009, c’est à dire avant le passage aux Responsabilités et Compétences Elargies (RCE) que la majorité du CA a voté début janvier 2010, s’élevait à 57 millions d’euros. Avec les compétences élargies, donc en intégrant la masse salariale des personnels de statut fonctionnaire, le budget passe à 206 millions d’euros. A côté, Lyon-I, université de taille plus importante, et essentiellement scientifique, dont les engagements ne sont pas de même nature, a un budget de 357 millions d’euros.
Autre élément de débat quand il est « question d’argent », les salaires pour les enseignants-chercheurs. Le salaire net d’embauche, est de l’ordre de 1700 euros ; en fin de carrière pour un maître de conférences hors classe, il s’élève à 3550 euros ; et fin de la classe exceptionnelle d’un professeur, c’est 5000 euros (mais c’est très loin d’être le salaire de fin de carrière de la majorité des collègues eu égard, notamment, à la relative rareté de ces postes).
Maintenant, quelques remarques.
1°) Sur un budget d’à peu près 30 milliards d’euros, pour maintenir le « pouvoir d’achat » de ce budget, avec une inflation de l’ordre de 3%, il faut ajouter quasiment un milliard. Donc, chaque année où les ministres nous annoncent 1 milliard de plus par an, comme il y a 3% d’inflation, c’est en gros un pouvoir d’achat maintenu. Encore qu’il faille regarder de plus près car le gouvernement consacre une part croissante au Crédit Impôt Recherche.
2°) Pour apprécier les chiffres que je viens d’évoquer, il convient d’avoir des éléments de comparaison, des ordres de grandeur. Ainsi, un porte-avion nucléaire coûte 15 milliards d’euros, un avion Rafale : 140 millions d’euros ; le « paquet fiscal 2007 », dont on parle encore, revient à 14 milliards d’euros, la réduction de la tva sur l’hôtellerie-restauration, représente 4 milliards d’euros…les profits semestriels du groupe pétrolier Total, en 2008, c’étaient 5,9 milliards au premier semestre et 6,2 au second. Les profits annuels en 2009 du groupe Sanofi-Aventis s’élèvent à 8,5 milliards d’euros, pendant que ceux de BNP-Paribas atteignent 4,7 milliards. Globalement, pour les entreprises du Cac 40, pour 2009, les profits sont de 49 milliards d’euros. Un autre élément : les bonus des traders sur la place de Paris s’élèvent en moyenne à 250 000 euros par tête.
Pour comparer les salaires de l’enseignement supérieur et de la recherche, j’ai pris pour comparaison les salaires dans la chimie. L’éventail des salaires n’est pas très loin du nôtre : entre 30 000 et 60 000 euros en gros pour 95% des salariés de type ingénieurs/cadres. Si l’on regarde par rapport au salaire terminal annuel pour un professeur de classe exceptionnelle, j’ai déjà cité 5000 euros par mois, en multipliant par douze, vous retombez sur ce chiffre. C’est donc comparable. Quant aux revenus annuels moyens d’un médecin libéral, ils s’élèvent à 81 000 euros. De l’autre côté, le salaire mensuel moyen d’un médecin salarié, est de 3200 euros. Dans le secteur « éducatif » le salaire moyen d’un enseignant du premier et du second degré est de 2050 euros. Enfin le Smic mensuel 35 heures, c’est 1056 euros. Un autre élément d’appréciation est apporté par l’indicateur du rapport entre le salaire d’embauche d’un maître de conférences et le smic, le rapport entre ces deux salaires a décru de 2 à 1,6 et s’est stabilisé à 1,6 entre 1990 et 2010. Il y a eu une très légère reprise après les évolutions indiciaires que je mentionnerai tout à l’heure. Donc voilà pour les comparaisons nationales.
Je n’évoquerai que brièvement les comparaisons internationales pour souligner les écarts sur la part de PIB consacrée à la recherche et aux formations supérieures. D’autres pays, Chine, Inde, Corée du sud, Israël et des pays nordiques voient augmenter de manière continue et même au-delà des 3% leurs dépenses en matière de recherche et d’enseignement supérieur.
Quelques éléments d’analyse
Les chiffres disent le bouleversement considérable des enjeux de financement, mais interrogent plus fondamentalement sur les missions, la nature du travail universitaire et son organisation, sur la nature des rémunérations dans le supérieur et la recherche. On peut analyser qu’il y a de fait une tentative de faire sortir l’enseignement supérieur et la recherche du service public historique, tel qu’il a émergé de l’après-guerre en France ; c’est à dire avec une logique d’intérêt général, de liberté scientifique et à ces fins de statut protecteur des personnels, de cohérence et de dimension démocratique dans l’organisation, dans la gestion des institutions, dans la définition des projets de recherche, comme dans l’attention, collective et non pas individuelle, portée aux carrières des personnels. Les chiffres éclairent le transfert massif des coûts de la recherche, du privé vers le public. Cela comprend plusieurs aspects : d’abord, l’affaiblissement en volume des dépenses -et aussi donc du nombre de salariés- que les entreprises du secteur public ou proches de celui-ci et les entreprises privées effectuent. Le secteur R&D des entreprises a singulièrement fondu sous plusieurs coups de boutoir. Le premier est d’importance majeure : il s’agit des restructurations et abandons industriels, dans lesquels les logiques dites d’économie d’échelle ont fait fusionner les centres de recherche et développement et, le plus souvent, l’emploi a considérablement souffert. C’est vrai dans la chimie, dans l’automobile, dans la pharmacie et dans bien d’autres domaines. De plus en plus, les fonds publics sont sollicités par les entreprises, via des participations directes ou mises à disposition de ressources en matériel ou en salariés chercheurs hautement qualifiés. De plus par divers biais, l’ANR ou d’autres, bien des projets scientifiques portés par des établissements scientifiques, relèvent de sujets de recherche, fondamentaux ou finalisés, qui intéressent directement et immédiatement le secteur privé. C’est le cas en particulier pour tout ce qui relève du financement de la recherche finalisée et des pôles de compétitivité. Dans ce panorama on doit mentionner la part considérable prise par l’hypocrite « crédit impôt recherche », qui est certes un crédit d’impôt mais qui n’a souvent rien à voir avec la recherche puisqu’il est avant tout déclaratif (et qu’il y a extrêmement peu de contrôles).
De manière essentielle, il me semble, par l’intermédiaire d’un pilotage très sélectif des répartitions de l’ « argent budgétaire », il y a une remise en cause profonde des missions et de la conception globale des métiers intellectuels qui sont ceux d’enseignants-chercheurs, de chercheurs, des personnels techniques et administratifs qui travaillent dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Les deux missions fondamentales –recherche et formation- s’inscrivent dans des dynamiques collectives avec l’attachement aux notions d’équipes de recherche, de laboratoires, de départements d’enseignement aussi. Toutes ces dimensions collectives sont mises à mal. Il y a désolidarisation des individus comme des structures, avec une confusion qui est lourde de sens entre émulation, compétition, concurrence. En glissant du premier terme vers le dernier, les logiques idéologiques dominantes et leurs bras armés gouvernementaux font s’affronter les institutions, les classent, comme ils hiérarchisent les individus. Il faut mesurer le bouleversement du côté des personnels vers une conception des métiers quasi libérale, avec une tarification qui tend à devenir une tarification à l’acte des activités d’enseignement et de recherche. Regardons comment cela s’est peu à peu institué, avec la part individuelle du BQR (bonus qualité recherche), avec l’amplification du nombre et du montant des primes dont la liste est très longue. Instaurées en 2009 les PES (primes d’excellence scientifique, d’un montant de 3000 à 15 000 euros) font justement débat aiguisé par le refus d’un certain nombre de collègues de cette logique d’individualisation et de concurrence. Mais à côté des PES, qui prennent en gros la succession des PEDR (primes d’encadrement doctoral et de recherches), même si leur champ s’élargit aux personnels chercheurs, dans l’enseignement supérieur il y a les PCA (primes de charge administratives), les PRP (primes de responsabilité pédagogique). Sur ce dernier terme le mot « responsabilité » met l’accent non pas sur l’engagement pédagogique –y compris dans sa dimension innovante – des collègues, mais sur la façon dont ils participent à une logique managériale. On doit aussi évoquer les « chaires-mixtes », les emplois contrats ANR qui produisent des effets salariaux temporaires…et puis il y a vraiment des tarifications à l’acte, d’expertise individuelle ou collective, que ce soit dans le cadre de l’AERES, ou dans les commissions liées au classement des collègues qui demandent la PES…et dans certains établissements (Dauphine, au moins dans le domaine des sciences de gestion (section 6 du CNU)) les collègues bénéficient de primes à la publication. Cette logique est extrêmement inquiétante : ni les collègues ni l’opinion n’en mesurent l’impact.
Ces faits ne peuvent occulter que s’exprime aussi dans le pays, avec des moments forts, une résistance de longue durée au démembrement du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche comme au décrochage économique, à la désindustrialisation et aux logiques financières que j’évoquais tout à l’heure. Les luttes universitaires, qu’elles soient portées par les enseignants-chercheurs, les chercheurs et les personnels, ou davantage portées par les étudiants comme sur la question du CPE (contrat première embauche) ont toutes mis en avant le refus de la précarité des jeunes, le refus de l’individualisation des salaires. L’enjeu brutal du passage de la reconnaissance des diplômes délivrés par les institutions universitaires publiques à la reconnaissance par les employeurs de ce qu’ils appellent les « compétences » traverse cet aspect comme toutes les questions d’emploi. Il y a là un enjeu considérable présent dans la bataille gagnée contre le CPE comme dans ce que nous avons fait dans l’unité des forces syndicales et de la communauté scientifique pour nous opposer au démantèlement des organismes de recherche, à la diminution du nombre de chercheurs, qui avait été envisagée dans les années 2003-2004. Les créations obtenues alors, le gel des suppressions d’emplois pour les années 2008-2010 ne sont pas rien. Ce gouvernement va aller vers les 100 000 emplois publics supprimés en quatre ans, la résistance qu’il a rencontrée dans notre secteur est une donnée que l’on ne doit pas gommer tout comme le maintien du statut national des enseignants-chercheurs arraché en mars dernier avec des revalorisations (insuffisantes certes) des débuts de carrière des maîtres de conférences, et l’élargissement assez net des possibilités de promotions.
Les perspectives
Il me semble que dans le débat de ce début de XXI ème siècle, il s’agit de ne pas découpler l’aspect recherche publique/enseignement supérieur de l’aspect recherche effectuée au sein des entreprises. En France il faut stopper la dégradation permanente de la situation de l’investissement scientifique des entreprises : cela présente des enjeux considérables en matière de constitution de centres de R&D, mais aussi sur tous les aspects de la vie intellectuelle. La question de la convergence institutionnelle et dans les financements de l’ensemble des voies de l’enseignement supérieur ne peut plus être différée. A court terme la mise en œuvre d’un plan pluriannuel de recrutements de personnels statutaires pour le supérieur et la recherche est incontournable et de fait moins onéreuse et scientifiquement bien plus vitalisante que les aléas du « grand emprunt ».
La plupart des formations de recherche, masters recherche, sont affaiblies parce qu’il n’y a pas un effort poussé par la nation de valoriser l’engagement scientifique dans toutes ses dimensions et toutes les disciplines. Là aussi les logiques de « créneaux d’excellence » comme celles de « niches d’innovation » sont des non-sens dans la temporalité objective de l’avancée des savoirs académiques ou appliqués. Il y a, je crois, un travail qui nous incombe qui est à la fois politique et pédagogique et, en même temps, un travail d’absolue résistance pour défendre les dimensions collectives et collégiales de l’enseignement supérieur et de la recherche. En effet on doit noter le caractère simultané des désengagements financiers de l’Etat, votés régulièrement par le parlement, et l’émergence et la consolidation d’une logique managériale de très pauvre qualité. En témoigne p.e. la version intermédiaire du rapport Aghion[5] qui est un tissu de bêtises, de contre-vérités d’une doxa libérale sans aucune originalité qui se prétend en capacité de transformer en profondeur les logiques et la structuration de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je pense que notre résistance collective sur ce terrain idéologique est très insuffisante. Il va de soi que les batailles pour l’organisation d’une résistance plus cohérente, avec les autres catégories de salariés, sont aussi essentielles.
[1] Cf. L’Humanité, « un monde universitaire diversifié et ouvert », 21 février 2009 (http://tinyurl.com/yj3uehn) et 22 janvier 2010 « Les enjeux politiques d’un moment à la dimension collective indéniable » (http://tinyurl.com/yk2l6ru).
[2]Le Monde, « Université : sortir de la crise par l’emploi », 9 avril 2009. Voir également Libération (débat avec Valérie Pécresse) 30 mars 2009. Le débat est disponible ici : http://tinyurl.com/yzoehcl
[3] Les données chiffrées proviennent du site du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ou de l’INSEE
[4] Il s’agit de la Conférence des Ministres de l’Education de l’Union Européenne, qui s’est tenue du 11 au 14 Mars 2010 à Vienne, en Autriche.
[5]Cf. http://www.fabula.org/actualites/article35544.php

Il est naturel que se croisent sur cet enjeu les analyses issues du primaire, du secondaire, de l’enseignement supérieur donc de tous ceux qui y développent leurs activités dans l’intérêt du service public et des personnels qui font vivre les établissements. Soyons clair, l’enjeu considérable de former les nouvelles générations en prenant en compte tous les aspects individuels et collectifs des mécanismes complexes d’apprentissage, ne peut passer par l’assignation des futurs professeurs à un rôle technique. Créativité et réflexivité mêlant de larges savoirs et compétences pour ces métiers requièrent bien une formation globale de 5 ans (comme dans la plupart des pays développés) reconnue comme telle. En cette fin d’année universitaire 2024-2025, remettre sur le métier des analyses est d’autant plus important que le ministère veut imposer, en se passant de concertation, une importante réforme qui amplifie le poids des exigences du Ministère de l’Education dans les cursus de formation au détriment des cohérences universitaires et déplace le niveau du recrutement en milieu de L3 tant pour le CRPE que pour les CAPES/T. Peut-on se contenter de déplorer l’absence de concertation et de moyens ? …sans prendre position sur le fond sur un problème réel même s’il est complexe, ni même initier publiquement la construction d’une riposte spécifique au monde universitaire fondée sur une alternative. En ce qui concerne l’enseignement supérieur, sa contribution à la formation des futurs professeurs du premier et du second degré est essentielle et dépasse et de loin le seul apport des composantes spécifiques que sont les actuels INSPE. Cela nécessite aussi de faire le point sur les évolutions connues (vécues/subies) depuis la fin (à la fin des années 70) des pré-recrutements organisés dans le secondaire par les IPES et dans le premier degré dans les Ecoles Normales. Ces changements sont loin de ne concerner que les aspects de la formation des enseignants, des concours de recrutement, des évolutions statutaires et du niveau (absolu et relatif) des rémunérations. Si on élargit la focale on doit noter des aspects qui peuvent paraître contradictoires à première vue. Un fort attachement de la population qui vit dans notre pays pour les services publics (voir tout en ensemble de sondages)…mais une faible attractivité des métiers des services publics en particulier dans les générations les plus concernées par une entrée « non différée » dans cette voie (entre 22 et 30 ans). Si le trop faible niveau de rémunération et les conditions de travail difficiles (en particulier en début de carrière) expliquent pour une grande partie cette situation, on ne peut balayer d’autres aspects. Alors que la fonction publique enseignante est de loin celle qui recrute le plus chaque année, les différents concours actuels ne font pas le plein de candidats, voire même le mode d’accès par concours dans l’enseignement et (par effet de marquage) dans l’ensemble de la fonction publique est triplement remis en cause. Par les gouvernements qui amplifient la précarité dans tous les secteurs et en ont fait une voie « quasi-normale » d’accès, par nombre de jeunes collègues qui trouveraient plus de confort dans une logique d’emploi valorisant mieux ( ?) leur profil, leurs compétences, leurs « résultats », et par un nombre conséquent de parents d’élèves qui déplorent sur tous les tons, le « niveau », « l’absence d’autorité », l’arbitraire d’affectation de celles et ceux auxquels leur progéniture est confiée…et qui voudraient intervenir dans leur recrutement. Au-delà de ces éléments sociaux de contextualisation, reste une dimension importante pour constituer une vision universitaire de la question. Entre les années 2000 et aujourd’hui, la part des étudiants ET des universitaires dans les cursus académiques historiques qui ont structuré l’enseignement supérieur et par voie de conséquence l’enseignement secondaire a considérablement diminué (mathématiques, histoire,…) et même beaucoup changé pour ses contenus et ses modalités dans ce qui en reste du fait de l’évolution des connaissances et des spécialisations fortes au sein même des disciplines académiques (physique, chimie, biologie, géosciences, …) et ceci dès la fin du cycle licence. De la sorte les étudiants d’aujourd’hui qui sortent de ces L3 (dans quasi toutes les filières) sont très peu nombreux à pouvoir se sentir proches des enseignants du secondaire qu’ils et elles ont croisés au lycée. C’est bien sûr encore plus le cas pour celles et ceux qui ont suivi des cursus de Droit, Informatique, Gestion, Biochimie… Autrement dit les cursus actuels dans le cycle licence au sein de l’enseignement supérieur ni n’incitent ni ne préparent à envisager un métier de l’enseignement. Ajoutons un dernier élément : le rattachement des INSPE à seulement une partie des universités et la diminution du poids des métiers de l’enseignement dans les perspectives d’emploi (d’insertion comme dit le ministère) de la population étudiante rend ces enjeux peu défendus par les directions d’université (aussi bien la plupart des président.e.s que France Université). Ce sont donc des faits à inscrire dans l’analyse de la situation actuelle très insatisfaisante depuis bien des années. Pour autant une volonté d’inscrire formation et voies de recrutement dans une forte exigence d’un meilleur service public, n’implique pas a priori que les points de vu convergent spontanément. Examinons au sein du monde universitaire d’abord, quels sont les registres autour desquels peuvent se construire des avis instruits sur ces questions. Sans qu’aucun de ces « registres » n’ait vocation à exprimer de manière homogène un diagnostic sur tout ou partie des questions en jeux. • Collègues des disciplines académiques intervenants en licence et/ou dans les M1 et M2 MEEF • Collègues des INSPE • Collègues relevant par leur discipline de recherche des sciences de l’éducation (au sens large incluant bien sûr des champs de la sociologie et de la psychologie) ou de la didactique d’une discipline De même que sur d’autres questions il est pertinent d’examiner les biais éventuels d’une position face aux pistes d’évolution de la formation et du recrutement des futurs enseignants. Ainsi par exemple, les flux faibles dans nombres d’université dans les filières académiques (par exemple en mathématiques) expliquent, pour une part au moins, l’opposition de collègues des sections 25 et 26 du CNU à la création de licences pluridisciplinaires qui de facto feraient « perdre » des étudiants à la licence « classique » de mathématiques. Tous ces aspects s’inscrivant par ailleurs dans un bouleversement considérable des modes de vie depuis la prime enfance jusqu’à l’insertion (de plus en plus tardive) dans une vie professionnelle et personnelle stable, avec toutes les interrogations qui traversent la société sur l’objet de l’éducation, ses modalités à l’heure où s’universalisent les usages d’internet et des robots conversationnels dopés à l’intelligence artificielle. Profondément, le rôle de la mémoire dans les apprentissages est questionné et par voie de conséquence les modalités-en particulier écrites- de « contrôle des connaissances et des apprentissages ». Le modèle standard quasi universel des finalités et des formes d’étude est aujourd’hui à la fois remis en cause par des dispositifs variés (travaux collectifs en mode « projet », part accrue de l’oral,…), contesté pratiquement (voir par exemple l’Ecole informatique de X. Niel) et par certaines courants intellectuels et certaines forces politiques de droite profondément hostiles à la culture critique (voir Trump et ses émules). Une partie de la jeunesse n’y est pas insensible. Et en plus le modèle standard des communautés d’apprentissage et de socialisation (les classes, les amphis,…) est concurrencé par l’usage intensif des réseaux sociaux dès un âge précoce. Si l’ensemble des données évoquées ici succinctement et bien d’autres rendent indispensable une profonde réforme de l’enseignement (objectifs, organisations, moyens,…) primaire, secondaire et supérieur, réforme qui doit viser à en renforcer le rôle de socle commun de la République française en s’appliquant à tous les établissements (tant publics que privés), il ne peut être question d’attendre, de poser et de conclure par une loi le débat, pour traiter dès maintenant –au moins transitoirement- de la réforme de la formation des enseignants et des concours de recrutement, puisqu’il s’agit bien de rendre toute sa puissance d’efficacité en matière de formation de la jeunesse aux statuts de fonctionnaire des enseignants. Comme toutes les réflexions qui concernent des parcours de formation directement professionnalisant, les contradictions liées à l’architecture rigide LMD (un syndicat comme le SNESUP-FSU s’y est opposé) entre niveau d’études et nombre d’années d’étude surviennent vite. Ces contradictions sont flagrantes, nous le savons bien en particulier dans les secteurs où le service public subit une forte concurrence des établissements privés (particulièrement pour des BTS et formations d’ingénieurs). Elles servent avant tout les intérêts privés ceux du patronat qui souhaite une employabilité rapide et convergent aussi avec l’aspiration des jeunes (et de leurs parents souvent) à des labels de formation (c’est l’orientation prise aujourd’hui par le ministère qui élabore une sorte de « charte d’agrément » non contraignante pour inclure ces établissements dans Parcoursup). Parce que c’est une question difficile, les universitaires ont malheureusement déserté ce terrain. Produire une rupture entre l’enseignement secondaire sanctionné par un bac et l’enseignement supérieur est, il me semble, un élément important dans la construction des jeunes adultes y compris dans la dimension, pas toujours bien vécue, de faire des choix. De ce fait l’entrée dans une filière de licence en L1 dans les voies disciplinaires existantes est ce qui est le plus judicieux tant pour que soit exploré par les étudiant.e.s la cohérence d’un champ scientifique voire ses futurs contenus et les perspectives de métiers qui y sont attachés que pour les universitaires qui y exercent pour y présenter sous son meilleur jour leur discipline. Ensuite il faut bien faire des propositions. Deux voies de L2 « métiers du premier degré sciences » et « métiers du premier degré Lettres-SHS » avec un accès qui serait de droit pour tous les lauréats d’un L1. Le caractère pluridisciplinaire peut permettre de combiner pour cette année de L2 des modules d’enseignements issus de modules des licences disciplinaires propres à chacune des deux voies. L’année de L3 verrait s’ouvrir à la fois à des enseignements de l’autre voie, ainsi qu’à des modules issus des licences de sociologie, psychologie, sciences de l’éducation et des enseignements spécifiques dont une préparation au concours (voie d’accès à la fonction publique qu’il convient de valoriser). Pour l’enseignement secondaire, on peut envisager des voies de L2 en gros conformes à l’existant des filières disciplinaires qui seraient complétées pour le public étudiant intéressé par le CAPES de modules spécifiques (psycho, socio, sciences de l’éducation). Ce peut être aussi le moment (question ouverte) de revoir les couplages disciplinaires existants dans les concours du secondaire (histoire-géographie, physique-chimie, sciences de la vie et de la terre, histoire-géographie-lettres en PLP,…) qui correspondent de moins en moins aux filières universitaires voire d’ouvrir franchement le CAPES à d’autres champs : l’informatique, l’analyse d’images…. Quant aux autres étudiants de L2 ils recevraient des formations orientées vers les voies d’accès aux écoles d’ingénieurs (évitant les CPGE) pour le champ scientifique et de manière adaptée pour le côté LLSHS. Même chose en L3 où s’ajouterait une préparation au concours écrit. L’obtention d’une licence disciplinaire « enseignement » donnerait accès aux masters dans la filière sous réserve éventuellement de la validation au cours du cursus de Master de quelques modules de L3 laissés de côté. Dans cette structuration il est un peu plus difficile d’envisager les poursuites d’études pour les lauréats d’une licence « métier du premier degré » qui auraient renoncé ou échoué au concours ou qui souhaiteraient reprendre des études ultérieurement. Il convient d’éviter la constitution d’un « vivier » de précaires potentiels pour des recrutements hors statut. La reprise dans le L2 de la discipline initiale ne posant pas problème, les voies d’équivalence et de dispenses existants déjà dans la règlementation, il n’est pas sûr que le problème soit considérable. Réclamer un moratoire pour faire avancer des discussions avec le ministère, prendre en compte des exigences revendicatives syndicales et budgétiser les moyens (humains et matériels) de la réforme lancée ce mois-ci par E. Borne fait figure de position de la FSU sur ce dossier, ce n’est que plus petit dénominateur commun aux syndicats d’enseignants de la FSU. Ceux-ci ont des visions différentes : pour le SNES recrutement « au niveau du master » (formule assez floue !), pour le SNUIPP « le recrutement à bac+3 et la formation rémunérée durant 2 ans avec la reconnaissance bac +5 peuvent répondre en partie à la crise d’attractivité du métier d’enseignant. Si la FSU-SNUipp se félicite d’être entendue sur cette revendication qu’elle porte depuis longtemps, cela ne saurait suffire. ». Il est clair que le projet du pouvoir politique (et ses décisions récentes) remet en place une forme de dissociation du premier et du second degré, en même temps qu’un affaiblissement organisé des niveaux de formation tant côté sciences de l’éducation, didactique, réflexivité des pratiques que sur les contenus disciplinaires propres. Le MEN a ainsi pu signifier sans honte que le niveau de maîtrise des connaissances d’un.e professeur.e des Ecoles devait avoir pour socle celui d’une fin de collège (niveau 3ème donc) ! Il me semble donc urgent que l’ensemble de la communauté universitaire s’empare de manière renouvelé de cet ensemble de questions. Au-delà de la demande de moratoire et de moyens, demande qui en quelque sorte tend à geler la situation actuelle et donne peu de leviers pour s’opposer à la mise en œuvre de la réforme Borne-Bayrou dès septembre prochain, il convient de synthétiser les analyses et propositions issus de toute la richesse des expériences pour formuler d’audacieuses propositions pour le service public d’enseignement et ses personnels.

HCERES …central et très opaque Après l'alerte lancée par des universitaires et des syndicats de personnels de l'enseignement supérieur, des interrogations critiques sur des avis très négatifs rendus par le Haut Conseil de l'Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES), organisme identifié comme une haute autorité indépendante, sur des formations de licence et de master dans des universités du quart Nord-Ouest de la France et de la région parisienne ont été relayées par la presse. Ce focus inédit tient sans doute à deux raisons, l'une est le caractère massif de ces menaces de fermetures de formations qui pourraient toucher par exemple toutes les filières de philosophie des universités de ce vaste secteur géographique, l'autre est la résonance avec les coupes budgétaires effectuées outre-Atlantique par la présidence Trump dans tout ce qui touche la recherche et singulièrement le climat et les sciences humaines. S'il convient de s'interroger sur des avis émis, avec une forte suspicion de manipulation par réécriture échappant aux experts eux-mêmes, on peut élargir la focale pour savoir comment et par qui ces avis sont produits et surtout sur ce qu'il convient (et pourquoi?) d'évaluer. Un bref détour sur ces 25 dernières années permet d'y voir plus clair. C'est lors d'une des premières phases aiguës de désengagement des pouvoirs publics français des affaires de la science et de l'enseignement supérieur en 2003-2004 qu'une nouvelle architecture de la recherche et de l'enseignement supérieur s'est peu à peu mise en chantier. Diminution des crédits des laboratoires de recherche publique, réduction considérable du recrutement de jeunes chercheurs inauguraient le second mandat de J. Chirac. Si le large mouvement associatif et syndical "Sauvons la recherche" a réussi à inverser la tendance pour ce qui concernait les moyens (budgets et emplois), les questions d'organisation de la recherche et de l'enseignement supérieur restèrent un peu trop hors-champ alors qu'elles revêtent de par leur aspect structurel un élément essentiel. Jusqu'alors, le système français de la recherche, développé après la seconde guerre mondiale et marqué par un fort volontarisme scientifique associé à un tissu industriel puissant et à une volonté de rayonnement international autonome, n'était pas remis en cause, il s'appuyait sur un conséquent financement budgétaire et un rôle majeur dévolu aux communautés scientifiques. Le tournant des années 2000 voit le système français où les difficultés d’accueil des étudiants s'amplifient faute de places et de locaux, accusé de tous les maux : inefficace en tant que système de formation, marqué par le dualisme Grandes Ecoles/Universités, loin de la souplesse et des réussites du système nord-américain avance-t-on du côté du pouvoir politique (avec le recul pourtant, ces critiques apparaissent bien excessives voire largement infondées). Fort opportunément le "classement de Shanghai" survint et vint conforter ces thèses partagées pour une part par les communautés scientifiques exsangues de moyens et prêtes à croire à une nouvelle ère pour retrouver des financements. C'est ainsi que fut créée d'abord l'Agence Nationale de la Recherche sur le modèle des opérateurs de recherche des USA. Un opérateur c'est à dire une structure qui lance des appels à projets, choisit leurs lauréats et distribue des financements sans avoir en charge la cohérence et la continuité d'une politique de recherche et sans personnels scientifiques...au contraire des organismes de recherche comme le sont encore CNRS et l'INSERM, mais affaiblis... un rapport de la Cour des Comptes le montre ces derniers jours. Pour donner une vraisemblance d'objectivité dans la répartition des budgets et l'attribution à tel ou tel laboratoire ou équipe d'un financement récurrent (celui alloué par l'Etat comme dotation de fonctionnement) ou de projet fut instaurée une Autorité Administrative Indépendante (sic) rebaptisée en 2009 le HCERES, chargée d'évaluer les activités de recherche et de formation, comme la bonne administration des structures qui les gouvernent (universités, Ecoles, laboratoires, organismes). Ardemment attachées aux libertés académiques qui passent pour tous les aspects individuels de la carrière d'un chercheur et d'un enseignant chercheur par le jugement "des pairs", les communautés scientifiques se sont globalement, malgré les réserves de certains de leurs syndicats, accommodées d'une organisation qui semblait maintenir leurs précédentes prérogatives et leur rôle. Mais de fait il n'en était rien. Rien car leur échappait complètement deux aspects fondamentaux : les instructions et grilles d'évaluation de plus en plus marquées par une boursouflure bureaucratique...et la constitution effective des "comités d'experts". Car si l'inscription sur une liste d'experts potentiels est aisée pour un chercheur ou un enseignant-chercheur, les biais ensuite sont multiples. Une partie des personnels récuse la logique de ces évaluations, surtout qu'à l'expérience, peu de laboratoires et trop peu de projets spontanés sont financièrement soutenus (80% d'échecs) et a choisi de ne pas s'y mêler. Les comités d'experts puisés dans un vivier donc assez peu représentatif s'inscrivent ainsi le plus souvent dans une posture a-critique -assez peu scientifique- sur la fonction que le pouvoir politique leur confie....même si c'est théoriquement indirectement par le biais d'un Haut Conseil. Enfin pour parachever le verrouillage de ces comités, tout individu voulant éprouver le système et perçu à juste titre comme pouvant porter une analyse critique est écarté surtout si sa capacité d'expertise est avérée par son expérience (mandats syndicaux, direction de filière universitaire,...). Les entourloupes à tous les principes d'une évaluation équitable sont légions : dans les visites d'un comité d'experts dans un établissement d'enseignement supérieur c'est le chef d'établissement lui-même le plus souvent qui désigne les personnes qui seront auditionnées y compris lorsqu'il s'agit d'évaluer la "gouvernance" : ainsi les membres des conseils d'administration, élus des personnels et n'appartenant pas au groupe majoritaire pourront au mieux faire parvenir une lettre au comité de visite! Ce qui est présenté ces jours-ci comme une entrave exceptionnelle au fonctionnement harmonieux sur l'ensemble du territoire d'un ensemble de filières de formation de qualité (ce qui devrait relever d'une mission de l'Etat et des services d'un ministère), n'est en rien un accident. Il s'agit du fonctionnement structurel d'une organisation de l'enseignement supérieur et de la recherche qui vise avant tout à réduire sa part dans les dépenses publiques en concentrant les moyens d'Etat sur un petit nombre d'établissements, de personnels, de filières. C'est dans ce cadre que se sont inscrites les lois Libertés et Responsabilités des Universités (2007), Fioraso (2014) et Loi de Programmation de la Recherche (2020) qui complètent l'architecture du dispositif initié par la création de l'ANR et de ce qui est devenu le HCERES. C'est tout l'ensemble qu'il faut donc revoir. La situation internationale apporte malheureusement une confirmation de ce diagnostic et la large solidarité affichée aujourd'hui en France avec les scientifiques des USA où des pans entiers de la recherche (climat, sciences humaines, énergie,...) et des agences de financement sont frontalement mis en cause, doit encore s'amplifier. Il ne peut s'agir seulement de l’accueil en France de chercheurs victimes d'une sorte de chasse aux sorcières. Mettre en débat les besoins -indépendance, libre accès, financement - d'élaboration des connaissances est devenu partout urgent. Toutefois ceux-là mêmes, présidents d'université, ministres, qui se montrent au premier plan aujourd'hui des élans de solidarité, sont ceux qui ont applaudi, voire organisé le détricotage du système public français de recherche et de formation, ils ne sont pas les mieux placés pour donner des leçons! Hier le salut ne pouvait venir selon eux que de l'organisation modèle des USA, aujourd'hui effrayés ils n'ont pas encore la lucidité de dénoncer ce même système qu'ils ont importé en France. Il n'y a rien à attendre d'une bureaucratie managériale de la recherche et de l'enseignement supérieur pour une part publique et qui par ailleurs nourrit (environ 1 milliard sur 7 ans) une flopée de sociétés de conseils privées. Il est grand temps d'un nouveau souffle qui passe avant tout par les communautés scientifiques, les citoyens, le parlement et, sans attendre, par des moyens accrus. Cela doit conduire à élaborer une nouvelle architecture de l’enseignement supérieur et de la recherche, débarrassée d’ « agence(s) » et de « haut(s) conseil(s) » qui ne sont que les masques et les relais du désengagement de l’Etat. Jean Fabbri (avril 2025)

A retrouver sur https://www.humanite.fr/en-debat/enseignement-superieur/comment-financer-lenseignement-superieur-2-2 - L'Humanité (humanite.fr) Le constat est fait par la Cour des comptes, des commissions parlementaires, des économistes : la plupart des dispositions budgétaires voulues par les gouvernements ces dernières années ont affaibli les universités et plus globalement l’ensemble du périmètre public de l’enseignement supérieur et de la recherche (en favorisant le privé). Il y a presque vingt ans, avec le syndicat Snesup-FSU, nous dénoncions l’organisation délibérée par le pouvoir politique, avec la loi liberté et responsabilités des universités, d’une rupture brutale avec la logique de service public. Pour faire court, ces gouvernements ont tourné le dos à une vision politique émancipatrice de la science, des techniques et de l’éducation, qui ont vocation à irriguer le plus largement toute la société… et ont détourné de ces objectifs environ 15 milliards d’euros par an. Si le gouvernement Barnier envisageait d’augmenter la part des jeunes (et des familles) dans le financement des études supérieures, nous réaffirmons à rebours que le seul choix politique qui correspond à la devise de notre République, c’est un financement d’État massif seul capable de faire échapper la recherche publique et la diffusion des connaissances à des pressions et un accaparement privé comme à la sélection sociale. Deux voies sont à associer pour financer l’enseignement supérieur. Il faut d’abord réorienter les sommes détournées. Chaque année, supprimer les niches fiscales (crédit impôt recherche, apprentissage dans le post-bac privé…) – dont l’habillage « recherche » ou « insertion » n’est qu’un leurre – rapporterait plus de 8 milliards. Faire payer à leur juste prix les cessions de brevets dus pour l’essentiel aux laboratoires publics (biologie, intelligence artificielle, pharmacie, matériaux…) amènerait au moins 2 milliards. Supprimer l’appareil bureaucratique dit « d’évaluation » et de mise en concurrence des établissements universitaires, des organismes de recherche et de leurs personnels, en rendant sa place à la collégialité des universitaires et chercheurs ferait entrer un air de liberté là où celle-ci s’est réduite ; de même interdire le recours aux cabinets de conseil privés, qui ponctionnent les universités en faisant produire par des mercenaires sortis d’écoles de commerce privées des instructions sur la réorganisation du service public, rapporterait près de 0,8 milliard. Il faut ensuite abonder le budget. Il est possible d’augmenter de 3 milliards l’effort de la nation pour l’enseignement supérieur et la recherche quand on voit la loi de programmation militaire de 2023 qui a dopé de près de 4 milliards celui de la défense. Cela permettrait de résorber la précarité étudiante, de recruter plus de personnels – et il en faut –, tous sur des emplois statutaires, de revaloriser les salaires et de rétablir leur gestion nationale, garante de carrières libérées d’une individualisation perverse.

En 2007, à peine élu président de la République, Nicolas Sarkozy a mis en chantier une réforme profonde de la recherche et de l’enseignement supérieur. C’est la première grande loi adoptée en août 2007, connue sous le nom « Libertés et responsabilités des universités » ou sous son acronyme LRU. Il y a quelques mois, au nom de la modernisation et des défis du XXIe siècle, Emmanuel Macron s’est engagé à faire évoluer à nouveau le monde universitaire par un « acte II », dit-il, de l’autonomie. Lire aussi l’enquête | Article réservé à nos abonnés Des universités françaises au bord de l’asphyxie : « Ça craque de partout » Aucun bilan public n’a pourtant jamais été fait des profonds changements introduits en 2007. Certes, des coups de projecteur apparaissent ici ou là, tantôt pour célébrer des lauréats de prestigieuses récompenses académiques internationales, tantôt pour s’alarmer du stress produit chez les jeunes et leurs familles par la procédure Parcoursup d’accès à l’enseignement supérieur ou des difficultés sanitaires d’une part importante de la jeunesse. Mais ce kaléidoscope d’impressions ne vaut pas analyse. C’est pourtant essentiel et il y a urgence. Aujourd’hui en France, plus des deux tiers d’une génération atteignent le baccalauréat, et l’accès facile aux réseaux numériques homogénéise plus que jamais l’environnement culturel de toute la jeunesse, par-delà d’indéniables disparités économiques. Malgré ces difficultés – mesurées par exemple par les enquêtes PISA et par la pénurie d’enseignants – qui creusent les inégalités, l’enseignement secondaire a aussi contribué, jusqu’ici, à forger un horizon et des aspirations communes. Celles-ci se brisent sur le mur des sélections territoriales et sociales que la loi LRU a patiemment et solidement dressé. Voie de la concurrence Voilà le résultat de choix délibérés, qui font violence à une grande partie de la jeunesse et qui minent les fondements de notre société. Il y a bien un avant et un après la loi LRU, ce qui, sans enjoliver le passé, doit amener à réfléchir, bien au-delà du monde universitaire, aux raisons de ce séisme. Au prétexte que les activités de recherche s’exercent au niveau mondial, dans une forme de compétition vers l’avancée des connaissances (et en ignorant soigneusement toutes les phases d’échange, de vérifications qui les mettent en commun), la voie choisie par Nicolas Sarkozy et mise en oeuvre par Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur à l’époque, est résolument celle de la concurrence. Tout, absolument tout, de l’accès à une formation au travail et à la carrière des personnels dans la recherche et les universités, en passant par le financement des recherches, se jauge sous ce seul éclairage. Pas de critères partagés et encore moins d’arbitres de ces concurrences, mais une formule magique qui séduit par sa simplicité (comme une évidence, dit-on) et désarme ses détracteurs : l’excellence ! Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le classement de Shanghaï, ou l’invention du marché des universités Les gouvernements chargés de mettre en oeuvre la loi LRU ont usé jusqu’à l’écoeurement des initiatives d’excellence, laboratoires d’excellence, équipements d’excellence, chaires d’excellence, pour défaire systématiquement un patrimoine et un potentiel de recherche et de formation postbac qui irriguaient à la fois le très large spectre du champ scientifique et, de manière plutôt équilibrée, l’ensemble des territoires. Qui sont aujourd’hui les gagnants de la loi LRU, acte I de l’autonomie, préfigurant l’acte II annoncé ? L’« Etat stratège », formule répétée à l’envi par Valérie Pécresse et ses successeurs, a-t-il depuis dix-sept ans amélioré ses capacités d’anticiper les choix environnementaux, énergétiques, sanitaires, numériques ? Les étudiants sont-ils mieux formés ? Satisfaits de leurs parcours de vie et d’études ? Les chercheurs sont-ils massivement heureux de leurs conditions de travail ? Bien que connues et, pour l’essentiel, négatives, les réponses ici ne troublent pas les promoteurs de ces choix politiques, qui prétendent à un argument imparable : celles et ceux qui sont mécontents ne sont pas excellents. Et les gouvernements, comme M. Macron aujourd’hui, sont satisfaits d’enfermer le débat dans ce mépris qui, par ailleurs, nourrit la critique des fonctionnaires. Car l’essentiel est ailleurs. La loi LRU a remplacé un service public d’enseignement supérieur Il y a des gagnants à la loi LRU. L’enseignement supérieur privé – essentiellement bien plus cher que le public, peu contrôlé et peu diplômant – a plus que doublé ses effectifs, pour atteindre plus du quart des étudiants. Le crédit d’impôt recherche et les « investissements d’avenir » – au total plus de 10 milliards d’euros par an – irriguent plus que jamais, avec le prétexte de l’innovation, des entreprises qui, dans le même temps, ne créent que très peu d’emplois scientifiques hautement qualifiés. De manière cohérente, puisqu’il y a bien là un choix politique, par la logique de financement de la recherche sous la forme d’appels à projets, c’est vers les besoins de recherche appliquée que s’oriente le plus gros des flux budgétaires de l’Etat et des régions. Ainsi, toute une part de ce qui s’appelle recherche et développement, partie intégrante de l’activité des entreprises dans la plupart des pays, est assurée de près ou de loin en France par l’argent des contribuables. La loi LRU a remplacé un service public d’enseignement supérieur à peu près homogène sur le territoire national – marqué en matière d’enseignement par une sélectivité et une reconnaissance des diplômes, fondés pour l’essentiel sur des critères de mérite académique homogènes – par un édifice violemment concurrentiel dont Parcoursup n’est malheureusement que l’un des jalons. Si les jeunes bacheliers en sont, dans les semaines à venir, les plus affectés puisqu’ils sont conduits à se conformer à une lettre de motivation que la bureaucratie ministérielle leur a extorquée (et que, dans bien des cas, des parents ou des coachs ont écrite à leur place), les établissements universitaires et leur personnel en perdent leur horizon. Rien n’oblige à laisser en l’état, voire à amplifier avec l’acte II, une situation où les moyens affectés à une licence d’informatique, par exemple, passent du simple au double d’un établissement à l’autre. Au contraire !
Le 7 décembre, dans un discours fleuve, le président Emmanuel Macron s’est exprimé à l’Elysée sur les maux et l’avenir, tel qu’il le voyait, de l’enseignement supérieur et de la recherche devant un parterre de 300 chercheurs, représentants d’établissements supérieurs, instituts de recherche, et chefs d’entreprise. Qui veut pourra lire l’intégralité de son discours sur le site officiel. De ce qui forme un très long texte, on retiendra, au moment où il s’agit de faire « le bilan de[s] difficultés », trois constats présidentiels : l’existence de difficultés accrues depuis plus de quinze ans (c’est-à-dire depuis la mise en œuvre de la loi Libertés et Responsabilités des Universités – LRU – de Sarkozy-Pécresse, mais cela n’est pas dit), d’une surcharge de bureaucratie et d’évaluations inutiles, enfin d’une insuffisance des financements publics et privés de la recherche (malgré les 7 milliards et plus de crédit impôt recherche alloués aux entreprises chaque année, qui eux non plus ne sont pas mentionnés !). Aucune surprise dans ce diagnostic. Pratique post-démocratique Le reste de ce très laborieux discours, redondant, mal écrit et prétentieux, où se retrouvent les formules de ses proches Thierry Coulhon (ancien conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation du président de la République Emmanuel Macron, il est président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur de 2020 à 2023, aujourd’hui président par intérim de l’Institut polytechnique de Paris) et Philippe Gillet (géophysicien, ancien vice-président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, auteur d’un rapport visant à renforcer et à simplifier l’écosystème national de la recherche), aussi bien que de l’économiste Philippe Aghion, s’inscrit dans une pratique complètement post-démocratique de notre société et accessoirement de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mentionnons quelques points du premier aspect qui alertera sans doute aussi constitutionnalistes et politiques. Indifférent aux nombreuses structures d’échanges et de prospective qui existent dans le champ scientifique (tels le Conseil national de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le Comité National de la Recherche Scientifique, l’Académie de Sciences, ou le Conseil économique et social et environnemental), et rien moins qu’aux compétences du Parlement, le propos présidentiel se veut autoréalisateur d’ici dix-huit mois. Il s’agit de modifier, voire même, pour aller plus vite, de détourner des cadres réglementaires et statutaires pour prétendre gagner la bataille de l’innovation, placée comme centrale dans l’exacerbation des tensions à la fois françaises et géostratégiques actuelles. Si on se focalise maintenant sur l’enseignement supérieur et la recherche, on relève, s’ajoutant aux dissimulations relevées plus haut (qui ne sont pas rien, quand on prétend faire un constat lucide), des biais multiples. D’abord on remarque des contre-vérités sur les chaires de professeur junior (CPJ) qui seraient « aujourd’hui beaucoup plus nombreuses et mieux environnées ». Créé par une loi de 2020, ce dispositif permet le recrutement précaire, sur quatre à six ans, de potentiels professeurs d’universités ou directeurs de recherche, mieux financés que leurs collègues maîtres de conférences (pour un travail analogue). Or, ces chaires ont une attractivité moindre que les postes statutaires et n’ont fait l’objet d’aucune évaluation pluraliste sérieuse. Autre point à souligner : rien n’est dit de la baisse conséquente en euros constants à la fois des budgets de l’enseignement supérieur et de la recherche (et simultanément du nombre d’enseignants-chercheurs en poste dans les établissements publics – 1 000 alors qu’il y a 250 000 étudiants de plus en dix ans). Bien sûr, les prouesses réalisées en particulier dans les universités pour d’une part accueillir et faire réussir, c’est-à-dire diplômer puis insérer des centaines de milliers de personnes chaque année, pour d’autre part mener de significatives recherches dans tous les champs disciplinaires, ne sont même pas évoquées. Seules compteraient donc les performances élitistes de quelques laboratoires, les récompenses internationales et la possibilité de convertir en cash des procédés technologiques ? Conception utilitariste de la recherche Déjà la loi de 2020 (loi de Programmation de la Recherche) traduisait cette orientation qui marginalise encore plus le secteur universitaire des lettres/arts/sciences humaines et sociales ; même additionné du droit, de l’économie et de la gestion, il ne bénéficie que de moins de 20 % de ces chaires de professeur junior. Si le président Emmanuel Macron utilise le mot « truc » autant que le mot « rupture » dans son discours, c’est un aveu involontaire : rien de neuf dans cette conception utilitariste et de court terme de la recherche, pas plus que dans le renoncement à l’ambition d’élever globalement le niveau des connaissances, mais un très dangereux pas de plus, en revanche, dans la déréglementation et la concurrence. De quoi tuer un système original qui, il est vrai, visait à rendre, en matière de recherche et d’enseignement supérieur, un service public. La vraie et efficace rupture serait de tirer les conséquences des constats partagés : abroger la loi LRU (en particulier faire retour de la gestion de la masse salariale à l’Etat employeur), réduire et recentrer le crédit impôt recherche, comme dé-bureaucratiser et rendre pluraliste le Haut Conseil de l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur ainsi qu’augmenter significativement le budget. BIO EXPRESS : Jean Fabbri est enseignant-chercheur en mathématiques, ancien secrétaire général du SNESUP-FSU lors du vote de la loi LRU, ancien doyen de la faculté des sciences et techniques de l’université de Tours.

https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/27/la-refonte-de-l-enseignement-superieur-nepeut- se-faire-par-des-initiatives-isolees-et-privees_6179354_3224.html L’annonce récente de l’ouverture en septembre, à Paris, d’une filière privée d’enseignement universitaire de type « arts libéraux » ne peut laisser silencieux celles et ceux qui travaillent avec acharnement à accueillir et à faire réussir dans les établissements d’enseignement supérieur public des centaines de milliers d’étudiants, tout en menant en parallèle de très sérieux et fructueux programmes de recherche. L’initiative de la philosophe Monique Canto-Sperber et de l’économiste Philippe Aghion de lancer des formations privées de bachelor – pour débuter, disent-ils – en s’appuyant sur leur réputation d’universitaires, leurs anciennes fonctions de dirigeants d’établissements d’enseignement supérieur et de conseillers de ministres (fonctions dont ils utilisent aujourd’hui les carnets d’adresses dans les milieux économiques et leurs relais politiques pour collecter des fonds) peut apparaître comme une voie originale en France. Une sorte d’innovation dans le paysage du postbac, largement inspirée des formations nord-américaines. A l’évidence, l’accumulation des difficultés pour les jeunes bacheliers et leurs parents qui peinent à se repérer dans le paysage du postbac français – devenu depuis quinze ans extrêmement concurrentiel, de facto sélectif avec le rôle joué par le dispositif Parcoursup, et qui semble peu en phase avec la récente réforme du lycée qui a supprimé les séries – ouvre un créneau d’opportunité. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Parcoursup : des lycéens empreints de regrets sur leur choix de spécialités au bac Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections Indépendamment de ces aspects, les évolutions contemporaines des enjeux de connaissance sur l’intelligence artificielle, le climat, les énergies, le vivre-ensemble, comme sur les métiers associés, appellent indéniablement des changements dans les cursus d’études, tant en matière de contenu que dans leur organisation. Dévaluation de l’enseignement supérieur public Qui pour définir et porter ces adaptations de l’enseignement supérieur ? Le monde universitaire public – universités et grandes écoles – est-il en capacité d’y contribuer ? Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences Découvrir Dans la tradition de service public français, la réponse devrait être positive, et il tient au pouvoir politique de donner, à cette fin, les moyens aux universités d’être à la hauteur de ces défis. Mais ces moyens (budgets, personnels statutaires en nombre suffisant) leur sont délibérément refusés depuis plus de vingt ans, conduisant tout à la fois aux difficultés d’accueil (pas assez de places, pas assez de temps pour encadrer les étudiants en petits groupes) et à des lourdeurs bureaucratiques et chronophages qui rendent stériles et freinent toutes les évolutions. Un exemple concret : malgré un besoin évident de cursus de licence pluridisciplinaires scientifiques pour accéder au métier de professeur des écoles, le ministère a régulièrement refusé ces ouvertures, l’autonomie des universités n’étant qu’une fiction. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Autonomie des universités : « Nos établissements restent corsetés dans un ensemble de contraintes qui entravent leurs capacités d’action » Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections L’insuffisance des capacités d’accueil dans les universités, qui est la réalité du contexte d’entrée dans le postbac, est telle que se multiplient les formations privées payantes, incluses ou non dans le dispositif Parcoursup, aux contours nébuleux, tant en matière de contenu de formation que de qualification des enseignants, et dans une quasi-absence de contrôle exercé par la puissance publique. On pourrait s’étonner que soit ainsi portée, délibérément hors du service public, l’initiative brandie comme si originale de Monique Canto-Sperber et Philippe Aghion, très bien introduits dans les cabinets ministériels, et depuis longtemps. Sauf à considérer que l’opération s’inscrit comme une étape supplémentaire dans la dévaluation de l’enseignement supérieur public largement engagée depuis vingt ans. Impact des logiques marchandes Plusieurs anciens ministres émargent désormais dans les « boards » de groupes privés d’enseignement supérieur nationaux ou internationaux, tels que Martin Hirsch et Muriel Pénicaud, au sein du groupe privé Galileo. Le modèle international dominant – hautement profitable – est, on le sait peu en Europe latine, la marchandisation à outrance du secteur de l’enseignement supérieur. Les plus spectaculaires bouleversements ayant eu lieu au Chili et en Europe centrale depuis la chute du mur de Berlin. L’endettement de générations d’étudiants, son poids dans le système bancaire sont des aspects connus depuis les menaces sur la stabilité de certaines banques aux Etats-Unis, en passant par les révoltes étudiantes au Chili, comme au Royaume-Uni, il y a moins de dix ans. Mais l’impact de ces logiques marchandes sur les contenus de formation est peu documenté. Pourtant, quelques pistes d’analyse se dessinent. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Prêts bancaires : « Les étudiants subissent les contraintes de l’endettement tandis que les Etats plombent leurs finances publiques » Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections Le constat le plus partagé est un reflux du nombre d’étudiants et, en moyenne, du niveau de formation et d’exigence dans les disciplines académiques (lettres, histoire, mathématiques, physique…), avec des impacts directs sur les capacités de recherche publiques et privées, par exemple le renouvellement des enseignants des premier et second degrés. On mesure aussi le développement de filières extrêmement appliquées autour de l’informatique et de la biologie, pour lesquelles on peut rester interrogatif sur la pérennité des qualifications obtenues. Mais dans ce nouveau cadre domine la croissance incontrôlée de formations se présentant comme généralistes « de haut niveau », dont les plus emblématiques sont celles de type Sciences Po, dont les débouchés sont objectivement faibles. Sauf à donner l’illusion ou à avoir le dessein, une tendance que marque aussi le projet que nous évoquons ici, de voir leurs diplômés occuper la quasi-totalité des fonctions d’encadrement publiques et privées, mais sans aucune compétence singulière. Fonctionnement en mode « survie » Les besoins d’élargir et renouveler les formations sont réels, les universitaires ne manquent pas d’idées, qu’il s’agisse des contenus ou des modalités d’enseignement à côté des formes traditionnelles, mêlant travaux collectifs, activités « en mode projet », jeux de rôles. Rien n’assigne l’enseignement supérieur public et les universitaires français et étrangers qui le font vivre au conservatisme (qui n’en est pas la réalité, mais une caricature), sauf une asphyxie de moyens qui se creuse année après année et qui incline à un fonctionnement en mode « survie ». Oui, l’examen des évolutions dans les parcours d’études et post-études dans les dix dernières années, des diplômés de moins de 35 ans en particulier, appelle de réels changements : près de 30 % de reconversions, souvent même avant de se stabiliser dans le moindre emploi ; une prise de conscience accélérée des modifications de modes de vie liées au besoin de préserver la planète, qui suppose déjà d’éviter de parcourir trois fois le monde en « mobilité internationale »… Tout cela pousse à une profonde refonte de l’enseignement supérieur. Celle-ci ne peut se faire par des initiatives isolées. Elle appelle, au contraire, un très large débat de société. Il convient d’alerter, pas seulement parce que cette démarche contribue injustement, une fois de plus, à la dévaluation du service public universitaire auprès des jeunes et des parents, ni même pour souligner le côté peu glorieux de cette entreprise, qui mord la main de qui l’a nourri, mais parce qu’elle promeut un modèle déjà « has been » d’enseignement. Jean Fabbri est l’ancien directeur de la faculté des sciences et techniques de l’université de Tours (2012-2017) et l’ancien secrétaire général du Snesup-FSU (2005-2009). Jean Fabbri(enseignant-chercheur)
Les chaires de professeur junior (CPJ) sont un dispositif présenté par le gouvernement Philippe en 2020 (avec F. Vidal au MESRI) dans le cadre de la loi LPR pour casser la logique du recrutement d’enseignants-chercheurs ou de chercheurs par la voie statutaire –en tant que Maitres de Conférences ou Chargés de Recherche. Sur un petit nombre de supports demandés par les établissements universitaires (voire d’organismes de recherche) et validés par le ministère sont ainsi recrutés pour une durée maximale théorique de 5 ans-et donc en CDD- des titulaires d’une thèse, de nationalité française ou non, susceptibles de produire une recherche thématisée dite d’excellence et de « gagner » directement au terme du contrat et après validation du CDD par une commission ad hoc, le statut de Professeur d’université ou de Directeur de Recherche. Ces chaires bénéficient de conditions de rémunération et de moyens budgétaires de travail scientifique bonifiés en comparaison des salaires et des conditions de travail des Maîtres de Conférences statutaires. Quelques chiffres A la date du 10 janvier 2023, le ministère avait autorisé 173 chaires sur les campagnes 2021, 2022 et 2023. Quelques champs disciplinaires concentrent beaucoup plus que d’autres ces chaires : 35 informatique/électronique, 26 biologie (au sens large), 11 économie, à comparer avec 5 chaires pour l’ensemble des lettres et langues. Transparait ainsi la priorité de ce dispositif : ajouter le mécanisme des chaires aux multiples passerelles entre le monde de la recherche publique et les sphères économiques et financières qui cumulent déjà, au titre du Crédit Impôt Recherche, des ANR et du plan de relance, en particulier dans les secteurs économiques qui apparaissent ci-dessus, de considérables aides financières de l’Etat. Un difficile bilan des recrutements Toutes les chaires publiées jusqu’ici n’ont pas été pourvues. Les fiches de poste aux exigences souvent pluridisciplinaires délirantes découragent à bon droit et entrainent de facto un petit nombre de candidatures, parmi lesquelles le jury constitué (bien sûr de collègues internationaux de « premier ordre ») se refuse à choisir un. e candidat.e dont l’ « excellence » n’est pas encore avérée. Le silence du ministère et des établissements sur le simple bilan factuel de ces recrutements est édifiant. Ni l’âge moyen des candidats et des lauréats, ni la nationalité, ni leur situation précise au moment du recrutement n’ont été systématiquement récoltées (jeune docteur de l’établissement, post doc depuis N années dans l’établissement, collègue déjà statutaire mais souhaitant bénéficier de la manne financière disponible,…). Ni France Université (ex CPU), ni les services statistiques du ministère n’ont publié d’enquête. Au plus tôt selon les services du MESRI, un aperçu des deux premières campagnes sera joint au bilan annuel des concours (annoncé pour juillet 2023). Les analyses syndicales confortées Dans toutes les instances nationales de concertation le dispositif CPJ a été repoussé par le SNESUP et le SNCS (FSU), syndicats les plus représentatifs des personnels concernés qui, de longue date, revendiquent des recrutements massifs au plus près de la thèse sur des emplois statutaires avec des aménagement de service en début de carrière pour démarrer in situ des projets de recherche adaptés à l’environnement scientifique de l’établissement d’accueil. Contre ce dispositif des chaires toutes les organisations syndicales se sont montrées cohérentes et solidaires. Comme pour les « chaires mixtes » soutenues par V. Pecresse et N. Sarkozy en 2007, peu à peu abandonnées, ce dispositif qui introduit une concurrence infondée entre jeunes collègues est inadapté régressif. Il constitue un effet d’aubaine pour certains laboratoires lancés comme beaucoup d’autres, et sans scrupules, à la recherche de fonds et de renforts scientifiques. Dans son mécanisme il faut relever la considérable régression qu’il constitue, puisqu’au contraire des recrutements « ordinaires » de MC ou de CR, ceux qui concernent les chaires sont effectués exclusivement par des PU et des DR. Cela affaiblit non seulement la forme spécifique de démocratie universitaire qu’est la collégialité, mais diminue la dynamique globale qui relève des missions communes des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Le « modèle mandarinal » qui reste celui en vigueur dans le monde hospitalo-universitaire fait par ce biais un retour en force inédit depuis 1968 dans l’ensemble du monde académique. Les CPJ sont bien emblématiques de la conception libérale de la Recherche que portent depuis des années les gouvernements…et la bataille pour y faire échec est bien essentielle.

Parmi des dizaines d’autres documents et témoignages, le compte rendu du Congrès SNESUP de Dunkerque (2006) fait dans le mensuel du SNESUP qui venait d’inaugurer sa nouvelle formule, https://www.snesup.fr/sites/default/files/asset/Actes-du-Congres-Dunkerque-2006.PDF montre, comme aujourd’hui les luttes pour les retraites, la capacité de gagner d’un mouvement social clair, déterminé et unitaire. « Victoire contre le CPE » telle était la banderole couvrant la tribune. A cette date Sophie Binet représentait l’UNEF, comme membre de son bureau national. Elle en deviendra par la suite vice-présidente, associée aux directions de B. Julliard puis de J.-B. Prévost, et toujours au premier plan de la construction de convergences fortes avec des partenaires. En ces années 2005-2010 d’un syndicalisme étudiant rassemblé et d’une forte présence conjointe de l’UNEF et du SNESUP dans un grand nombre d’universités, c’est d’abord de ces deux organisations, largement en phase pour lutter pour la démocratisation de l’enseignement supérieur, l’égalité des chances, l’augmentation des budgets et des emplois statutaires que sont venues les initiatives rassembleuses. Le CNESER où Sophie Binet a siégé aussi comme étudiante, a été exemplaire des motions co-écrites entre l’UNEF et le SNESUP, ralliant ensuite un front plus large d’organisations : CGT souvent, FO tantôt, FAGE et SGEN parfois… Enseignant-chercheur à Tours, et en même temps secrétaire général du SNESUP de 2005 à 2009, j’ai donc partagé avec Sophie Binet des réunions, des manifestations, des congrès, des délégations auprès de parlementaires, des phases de négociations aussi dans les résistances à la loi LRU poussée dès juin 2007 par N. Sarkozy et V. Pécresse. Qu’étudiants et personnels -en toute indépendance les uns et les autres- ne partagent pas les mêmes options sur l’évolution de l’enseignement supérieur pouvait et peut se concevoir, et les manœuvres du pouvoir (et de nombreux exécutifs régionaux) n’ont pas manqué, mais UNEF et SNESUP ont réussi à maintenir leur opposition solidaire jusqu’à l’automne 2007. Ce fort enracinement conjoint dans les luttes pour défendre l’universalité de l’enseignement supérieur et de la recherche publiques a joué ensuite un rôle de tremplin et d’accélérateur dans la bataille de 2009 menée par les universitaires pour maintenir les garanties statutaires des enseignants-chercheurs. Evoquer la personnalité de Sophie Binet et cette période rend optimiste, même des années plus tard, après son élection à la direction de la CGT. Les enjeux et perspectives de construction d’un syndicalisme renouvelé, fort et rassemblé, qui s’élaborent en ce moment dans la formidable bataille pour défendre le droit à la retraite, et qui traversent en particulier le SNESUP, la FSU et la CGT apparaissent à portée de nous. Le syndicalisme du XXI siècle a de l’avenir et ajoutera d’autres victoires après celle du CPE. Jean fabbri

Partout désormais dans les établissements d'enseignement supérieur, sont désormais connus les résultats des deux premières campagnes de « repyramidage », c'est à dire du dispositif conçu par le gouvernement comme temporaire (sur 4 ans) pour corriger des déséquilibres entre Maitres de Conférences (MC) et Professeurs d'Université (PU) - mieux payés - au sein des laboratoires et départements d'enseignement. Il y a bien peu de « lauréats », c'est-à-dire de passages MC->PU, et beaucoup beaucoup d'insatisfactions. Le nombre d’emplois d’enseignants-chercheurs ayant été notablement réduit depuis 10 ans, l’âge moyen de recrutement MC dépasse les 35 ans et celui de PU plutôt 47 avec des grandes disparités selon les disciplines. L’objectif affiché par les gouvernements d’un ratio 40% PU, 60% MC loin pourtant des aspirations des personnels concernés est resté lettre morte. Ce sont donc beaucoup de quinquagénaires universitaires qui ont des carrières tronquées. Le dispositif « repyramidage » était affiché comme un correctif… et un troc avec certains syndicats (SGEN et UNSA) pour faire accepter la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) et sa logique d’amplification des déséquilibres dans les statuts et les financements des établissements d’enseignement supérieur. Lié à la LPR adoptée sous la précédente législature, ce repyramidage se révèle (*) un terrible piège et désespère les collègues encore plus que le très petit nombre de postes de PU accessibles depuis 10 ans. L'université va tellement mal, la charge de travail en enseignements comme en dispositifs d'accompagnement des étudiants (pédagogiques et administratifs) si lourde, la tension si vive en matière de recherche, que le besoin de reconnaissance des enseignants-chercheurs est considérable tant sur le plan salarial que symbolique. D'autant que s'est un peu artificiellement construite dans les têtes une hiérarchisation terrifiante entre les deux corps MC et PU qui, au principe, solidarisent les enseignants-chercheurs sur les mêmes missions. À côté de quelques collègues – dont les demandes de promotion ne sont pas en cause – qui ont obtenu satisfaction, ce sont dans chaque établissement (université, Ecole…) des dizaines de collègues, et en France des milliers, qui se voient écarté·es … et, le plus souvent, par leur voisin de bureau. Le dispositif du ministère, cohérent avec les « appels à manifestation d’intérêt pour des projets » dont dépendent les financements des activités de recherche, semble atteindre son objectif : faire de chacun·e le concurrent de tous ses collègues de la même discipline dans une logique managériale qui s'oppose aux besoins de coopérations et d'échanges qui sont au principe des avancées scientifiques. Au niveau national, ce dispositif ne peut au mieux que donner satisfaction (au bout des 4 ans) à moins de 15% des collègues MC titulaires de l'Habilitation à Diriger les Recherche (HDR)- certains d’entre aux depuis plusieurs dizaines années et « qualifiés » aux fonctions de professeur depuis très longtemps. C'est donc bien un leurre… et pas du tout la bonne méthode pour corriger les retards de carrière. En effet, les missions d'enseignement et de recherche portent de manière indissociable des dimensions collectives et individuelles qui s'imbriquent dans les démarches de chacun·e : le service public universitaire doit être en mesure de conforter cet engagement en offrant des carrières attractives. Ce n'est pas la voie choisie par le gouvernement : entre repyramidage et imposition d’un système de « primes » (le RIPEC (**), c'est en plus à un considérable « travail » chronophage d'examen de candidatures, de dossiers, d'auditions qu'il a contraint les universitaires membres des sections du Conseil National des Universités, des Conseils Académiques des établissements… pour un effet marginal puisque ne seront concernés au mieux que moins de 4% des enseignants-chercheurs pour l’aspect « repyramidage ». Le sous-investissement délibéré-organisé par les gouvernements successifs (qui par ailleurs ont abondé le Crédit Impôt Recherche devenu une niche fiscale pour les grandes entreprises jusqu’à 7 milliards d’euros par an) - en emplois statutaires indispensables pour accomplir les missions de l'université (+30% de charge de travail et -10% de personnels en 10 ans !!), réclame au moins deux (***) dispositifs d'urgence. L'un pour CRÉER de nouveaux emplois dans toutes les catégories de personnel, donc y compris significativement des postes de Professeurs d'Université ; l'autre pour opérer les RATTRAPAGES de carrières pour les milliers de collègues écartés des promotions par l'indigence des moyens des universités. Avec tous les collègues, dont certain·es – et nous le comprenons – ont vécu cette campagne de repyramidage comme une humiliation et sont près de baisser les bras, il convient de faire entendre enfin au gouvernement le besoin de revalorisation globale de ces métiers tant sur le plan des perspectives de carrières, de salaires, comme de reconnaissance égale et effective des contributions à la recherche et à l'enseignement des PU comme des MC. Cette affaire va bien au-delà des universitaires, il s’agit rien de moins que de la qualité de l’enseignement et de la recherche dans le pays. Jean Fabbri Enseignant-Chercheur, secrétaire général du SNESUP (2005-2009), ancien doyen de la faculté des sciences et techniques de l’université de Tours --- (*) certains et quelques organisations syndicales dont le SNESUP avaient critiqué l’insuffisance tant du volume des emplois ouverts à la promotion que des modalités d’accès ; modalités sur lesquelles le ministère est resté sourd aux critiques. (**) RIPEC = Régime Indemnitaire des Personnels Enseignants-Chercheurs (***) Nous n’abordons pas ici les indispensables besoins en matière de conditions de vie étudiante, de locaux, de santé universitaire,…qui réclament aussi un véritable plan d'urgence
Après lecture d'un billet de rogueEsr publié sous le titre "Décevoir l'attendu" et rediffusé par Joël Pothier, en avril 2022, je posais quelques questions (voir ci-dessous) qui restent aujourd'hui, veille de 1er mai,. ..comme en suspension. Revenons-y, cette fois sous un titre plus explicite! Colères légitimes des universitaires, analyses lucides, activisme de quelques un.e.s pour vivifier colères et analyses et entrainer à l'action - y compris ce premier mai dans les cortèges initiés par les organisations syndicales- et après? Je le disais : l'escamotage de la question syndicale n'est plus tenable. Pourtant, billets après billets, rogueEes -après d'autres collectifs auparavant depuis 20 ans- élude délibérément cette interrogation, y compris paradoxalement hier 29 avril en invitant (et il faut s'en réjouir) à ce temps fort international du mouvement ouvrier qu'est le 1er mai (auquel quels que soient les champs professionnels les organisations syndicales et/ou confédérations, se rattachent au moins sur le plan historique). Dans ce qui s'apparente à une volonté de s'éloigner d'une "forme" syndicale, à défaut d'arguments qui viendraient d'un discours de science politique, sont évoqués plusieurs éléments qui méritent l'analyse : 1) l'inefficacité des syndicats. Dans le milieu de l'enseignement supérieur et de la recherche (J. Pothier l'évoque dans un message récent) est mis en avant ce que beaucoup appellent l'échec du mouvement universitaire de 2009 . Ce moment fort de luttes intenses (manifestations locales et nationales au cours d'une longue période de grève) avait de nombreux enjeux à la fois successifs et simultanés : la contestation globale de la loi LRU (après le premier temps des actions de 2007), le refus de l'alourdissement des services d'enseignement des enseignants-chercheurs appelé "modulation", dispositif inclus dans la révision du décret statutaire; et la "réforme" de la formation des enseignants et des concours. Tant sur le plan du cadre législatif universitaire que de la formation des enseignants, la très importante mobilisation des collègues, additionnée selon les moments de celle des étudiant.e.s et/ou de celle des collègues du premier et du second degré, n'a pas produit d'effet majeur sur le long terme et tout au plus infléchi ou retardé certaines dispositions annoncées par le gouvernement. Il en est tout autrement de la "modulation des services", certes le décret a été modifié, mais nulle part depuis près de 15 ans, un.e collègue titulaire ne fait plus de 192h eqtd, sans être payé en HC. Ce n'est pas rien! Ni pour tous les collègues, ni pour nos revendications visant aux indispensables créations d'emploi. Parler d'échec est donc à la fois simplificateur...et démobilisateur. Il ne s'agit pas d'enjoliver les dynamiques d'actions collectives et leurs résultats mais de porter l'exigence de lucidité critique sur le proche passé et sur la construction de mobilisations à venir. A défaut, après de pertinentes analyses, l'appel à l'action, même au renouvellement des formes d'actions, apparait comme incantatoire. Dans le moment revendicatif de 2009, où trouver la disqualification du syndicalisme (par essence) ou de tous les syndicats? Encore une fois, l'examen des faits tant dans les mobilisations locales, que dans la circulation des informations visant à fédérer celles-ci et à construire le rapport de forces avec le pouvoir montre le rôle du SNESUP. On ne peut en dire autant du SGEN bien sûr, ni d'autres organisations ou collectifs aux implantations plus ténues. 2) activisme ou militantisme. Le premier de ces mots est redevenu très valorisé en particulier dans le domaine des luttes féministes comme dans celui des luttes pour préserver la planète. Le second porte en lui une rigidité toute militaire qu'il convient à juste titre de bannir de toutes les formes de rassemblements utiles pour construire du "mieux vivre et travailler ensemble" et en particulier des pratiques syndicales. Au delà des mots, il ne s'agit pas que d'une posture d'engagement individuel pour des causes collectives comme le sont celles qui préoccupent un grand nombre d'universitaires. De quoi avons nous besoin pour fédérer autour de nos revendications et les voir aboutir? La relecture du programme d'interventions de la rubrique "Que faire" dans le billet de Rogueesr évoqué plus haut, présuppose un dispositif co-élaboré, construit à l'échelle de toutes les universités selon un calendrier convergeant ...et en liaison avec des délibérations d'instances universitaires locales. Qui co-élabore et qui peut mener à bien ce vaste programme? La première question soulève celle de la démocratie et de la transparence qui n'est pas facilement compatible avec l'usage d'un pseudonyme collectif. La seconde suppose une capacité d'exposer avec légitimité aux collègues, à la presse et au pouvoir des revendications et de négocier tant localement (sur ce qui relève du local) qu'avec le gouvernement. C'est ce qu'est une organisation syndicale! N'ajoutons ni discrédit, ni une organisation supplémentaire, à celles, déjà bien trop nombreuses sur des analyses et des objectifs proches. Travaillons dans une logique unitaire : ne nous épuisons pas à nous diviser. Colères, activisme...et syndicalisme... explicite et hautement indispensable après les résultats de l'extrême-droite le 10 avril et l'élection de Macron le 24. A suivre en de sincères et constructifs débats... jean fabbri _____________ Alors, que faire? S'inspirer d'intellectuels lucides pour adopter aujourd'hui la même exigence -tant individuelle que collective - est une nécessité. Nous avons pour beaucoup en commun les mêmes analyses radicalement critiques du monde économique et de la société (dont le monde universitaire) façonnée aux intérêts financiers. Pourquoi alors arrêter la lucidité dès qu'il s'agit d'examiner le corps social universitaire (complexe, traversé de tensions et marqué par la précarité) que nous formons, et ignorer les ferments de résistances collectives qui sont là? Après SLR, SLU, Sciences en Marche, le collectif Jean-Pierre Vernant, ...et j'en oublie, l'escamotage de la question syndicale est une constante qui interroge. Cet "oubli", cet "impensé" n'est plus tenable. Tant sur le plan intellectuel que sur le plan pratique. Confrontons nous collectivement à cette exigence avec la lucidité affichée par ailleurs. Posons la question franchement : ces organisations de luttes et de solidarités fondées sur le rapport au travail (conditions de travail, droits sociaux, salaires,...) sont elles obsolètes? Autour de nous, en France comme à l'étranger, les paysages syndicaux sont très différents, peut-on ignorer les batailles pour l'emploi, pour les salaires et le pouvoir d'achat menées dans nombre d'entreprises, les luttes contre l'uberisation, ...avec les syndicats...même les batailles pour avoir droit de se syndiquer (Amazon aux USA) !! N'hésitons à pas à la critique des modes d'organisation, de fonctionnement, ...cherchons à fédérer, à surmonter les divisions syndicales lorsqu'elles sont seulement des questions d'appareil. Il y a un avenir pour un syndicalisme universitaire repensé, égalitaire donc nous aidant à dépasser une logique mandarinale sclérosante qui ajoute indéniablement aux difficultés ...mais agir pour ce dépassement est aussi un puissant stimulateur!! À suivre