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Débat V.Pecresse- J. Fabbri dans Libération 31 mars 2009

Jean Fabbri • mars 31, 2009

Valérie Pécresse et Jean Fabbri se sont affrontés, vendredi, dans les locaux de Libération. Libération publie aujourd’hui de larges extraits de ce débat entre la ministre de l’enseignement supérieur et le secrétaire général du Snesup-FSU . Le site web de Libération en donne l’intégralité en version vidéo.


Voici l’intégrale des échanges restranscrits par Sylvestre Huet  -  relus par les débatteurs - de deux sujets de ce débat : le statut des universitaires et la politique de la recherche.

Paul Quinio : madame Pécresse, pourquoi fallait-il réformer le statut des universitaires ?

Valérie Pécresse : Parce que ce statut était rigide et totalement inadapté au fonctionnement d’une université moderne. Il ne comptait que l’activité en présence des étudiants, ce qui ne correspond pas à l’exercice réel du métier. D’autre part, l’évaluation est au coeur de ce nouveau statut car si l’on donne l’autonomie aux universités, il faut qu’elles puissent prendre leurs décisions d’avancement, de primes et de gestion de leur richesse humaine à partir d’une évaluation impartiale, vérifiable et transparente. L’autonomie sans l’évaluation, c’est la catastrophe, comme mon collègue italien me l’a dit. Enfin la question des promotions, épineuse. Nous souhaitions que les promotions soient décidées au sein des universités, mais nous n’avons pas réussi à trouver un accord sur ce point.

Paul Quinio : monsieur Fabbri, les universitaires n’étaient pas évalués ?
Jean Fabbri : Bien sur que si, nous l’étions collectivement et individuellement dans nos activités de recherche et d’enseignement. La vraie question de ce dossier est : pourquoi des statuts nationaux ? Pour garantir partout l’exercice des missions pour lesquelles nous avons été recrutés, effectuer des recherches et assurer en liaison avec ces dernières un enseignement d’excellente qualité. Ce statut et sa réforme, en particulier la modulation de nos services d’enseignement, sont étroitement liés à la question du nombre des universitaires. L’augmentation et la complexité de nos taches d’enseignement – individuelle et collectives - comme l’accumulation des contrats à dénicher pour financer nos recherches ou des dossiers d’évaluation croisée aux dispositions de la loi LRU nous fait craindre, oui, une inégalité croissante entre universitaires en terme d’obligation de service et de rémunérations.

Sylvestre Huet : Madame la ministre, lorsque vous avez pu constater que l’opposition à votre projet initial de statut était si large – des syndicats les plus à gauche à Autonome Sup, en passant par l’association élitiste Qualité de la science  française – n’avez vous pas eu le sentiment d’avoir fait une  boulette ?
Valérie Pécresse : cela ne s’est pas passé comme cela. En novembre 2008, lorsque ce projet passe au premier comité technique paritaire...
Jean Fabbri : ... nous avons voté contre de manière très claire et avec constance....
Valérie Pécresse : et quand pour la dernière fois le Snesup a t-il voté pour quelque chose ?
Jean Fabbri : nous avons fait systématiquement des propositions d’amélioration comme l’équivalence des cours de travaux dirigés et pratiques, ou la répartition des promotions entre établissements... Pas plus tard que mardi nous avons proposé que les missions des enseignants-chercheurs soient clairement précisées dans le décret comme de recherche et d’enseignement...
Valérie Pécresse : c’est marqué cinq fois dans le texte.
Jean Fabbri : nous avons également obtenu que dans le décret sur le Conseil national des universités, les enseignants-chercheurs ne soient pas classés entre eux mais évalués de manière formative et non pour une évaluation guillotine sur toutes leurs activités.
Valérie Pécresse : Sur ce sujets se sont exprimées toutes les peurs d’une communauté universitaire – que je ne soupçonnais pas – entre discipline et personnels de statuts différents.  En 2007, la loi LRU touchait au même sujet puisqu’elle réorganisait la gouvernance de l’université. Avec le statut c’est une deuxième étape de l’autonomie qui s’est jouée, dans un contexte différent, de crise, de plus grande inquiétudes et le statut est apparu comme un instrument de protection dans cette situation. C’est la réalité universitaire d’aujourd’hui qui s’est exprimée dans la rue à l’occasion des oppositions à ce statut. Je le voyais comme un instrument de confiance, et les universitaires voulaient plutôt une garantie contre des pratiques déjà existantes.






Sylvestre Huet : qui a raison ? Le premier ministre François Fillon qui dit que le statut est entièrement réécrit ou le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, selon lequel la version finale est peu différente de l’original ?
Valérie Pécresse : le statut a été entièrement réécrit au terme de 23 heures de négociations avec les organisations syndicales, puis 13 heures au sein du comité technique paritaire. Dans ce texte se retrouvent des motivations essentielles : la modulation des services, la souplesse dans l’organisation de son temps de travail tout au long de sa carrière, avec la garantie que au delà du service de référence, on paye des heures complémentaires...
Sylvestre Huet : ... aujourd’hui ce n’est pas déjà le cas ?
Valérie Pécresse : si, mais tout travail mérite salaire. Sur l’évaluation... les enseignants chercheurs sont évalués tout le temps...
Jean Fabbri : ...merci de le dire !
Valérie Pécresse: ... mais il va falloir trouver des procédures plus simples et plus rationnelles pour les conduire. Mais la question qui se posait était : peut-on faire des avancements et des primes locales sans un dispositif d’évaluation nationale par les pairs, discipline par discipline.




Sylvestre Huet : Jean Fabbri, finalement, vous avez gagné ou pas sur le statut ?
Jean Fabbri : Nous avons dit non au localisme pour des raisons de liberté scientifique et d’évaluations qui doivent être menées par des instances qui ont l’expérience des disciplines scientifiques. Sur ces points, oui, nous avons gagné. Mais la contestation du projet initial du gouvernement n’est pas lié à de la peur ou à une incompréhension. Elle est rationnelle et conteste de fait les choix politiques du gouvernement qui sont liés au désengagement de l’Etat et à des suppressions de postes qui conduiront inéluctablement à exiger plus d’heures d’enseignement de la majorité des universitaires. La modulation des services que la ministre a inscrit dans le projet de décret actuel – au même titre que d’autres points qui demeurent du projet initial – ont conduit le Snesup a quitter le comité technique paritaire, nous n’en voulons pas.

Paul Quinio : Jean Fabbri, êtes vous pour ou contre l’autonomie des universités ? D’autres syndicats, de gauche, y sont favorables...
Jean Fabbri : Pour moi, la question posée n’est pas celle de l’autonomie qui est un mot-valise. C’est celle du cadre législatif dans lequelle elle survient, celle du Pacte sur la recherche, de la loi LRU. Nous contestons l’un et l’autre. Parce que nous voyons dans ce cadre législatif, amplifié par le nouveau logiciel de répartition des resssources de l’Etat entre les universités, arriver la concurrence entre nos établissements alors que le principe de l’enseignement supérieur, c’est la coopération et les synergies. Cela ne s’oppose pas à l’autonomie ou à des politiques de formation et de recherche fondés sur l’autonomie.

Paul Quinio : combien de temps vous donnez vous, madame Pécresse, pour obtenir un accord sur le statut ?
Valérie Pécresse : nous avons élargi le pannel syndical qui n’y est pas opposé, il va d’Autonome Sup à l’UNSA en passant par la CFDT...
Sylvestre Huet :
l’Unsa et la CFDT n’ont pas voté pour...
Valérie Pécresse : ils n’ont pas voté contre, ils se sont abstenus en attendant les résutats des négociations sur les autres sujets. Je reconnais que la majorité des mandats du personnel au CTPU ne l’a pas voté, mais c’est ce décret qui sera adopté. Derrière ce décret il y a un plan de revalorisation des carrières qui va doubler le nombre des promotions des maitres de conférence et de professeurs (...)

Sylvestre Huet : faites-vous un chantage aux moyens par rapport au statut qui ne traite pas de ces sujets ?
Valérie Pécresse : non, je ne fais pas de pression, je dis simplement que ce décret doit sortir pour que dès le mois de juin nous puissions recruter les maitres de conférence avec des salaire de 12 à 25% plus élevés...
Jean  Fabbri :...c’était là une revendication du Snesup...
Valérie Pécresse : alors remerciez-moi de l’avoir mise en oeuvre !


Paul Quinio : Madame Pécresse, le président Nicolas Sarkozy ne vous a pas rendu service avec son discours sur la recherche...
Valérie Pécresse : Le 22 janvier, c’est de ce discours qu’il s’agit, a été lancée à l’Elysée la réflexion sur la stratégie nationale de recherche et d’innovation. C’est un acte majeur, l’équivalent du Grenelle de l’environnement pour la recherche. Elle consiste à mettre autour d’une même table pour réfléchir sur les quatre prochaines années de manière prospective les grands acteurs de la recherche publique, privée, les porteurs d’enjeux de société comme les associations. Que le Président de la République lance cette initiative est un acte fort. C’est une démarche Bottom up, qui va permettre d’avoir un document de stratégie et de programmation qui donnera de la légitimité à la programmation de l’Agence nationale de la recherche.

Paul Qunio : est-ce une bonne idée de lancer ce chantier majeur avec un discours aussi provocant ?

Valérie Pécresse :  Le président de la république a dit qu’on ne gagne pas la bataille de la connaissance sans y mettre tous les moyens, sans lancer une vraie réforme de l’université et de la recherche.
Jean Fabbri : le mépris affecté pour les universitaire et les chercheurs était totalement déplacé et il l’est toujours...
Valérie Pécresse : ... ce discours a été sur-interprêté et sur-utilisé et c’est très injuste de faire un procès au Président de la République qui met cinq milliards d’euros pour les campus, 1,8 milliards de budget en plus pour la recherche et 730 millions encore provenant du plan de relance.

Jean Fabbri : Allons au fondamental :le mépris et la prospective. On ne peut pas faire de la prospective dans ce domaine sans la communauté scientifique. Elle ne prétend pas être la seule à pouvoir dire quels sont les enjeux scientifiques, mais il faut s’appuyer pour la mener sur des instances largement élues par les scientifiques. Il y en a en France, comme le Comité national de la recherche scientifique qui sont fondé sur l’expérience, le partage, la légitimation par le vote, le gouvernement n’en veut pas, il fabrique des instances dont il définit le périmètre avec des «personnalités» nommées en totalité. Cette démarche ne convient pas à la dimension démocratique qui va de pair avec les enjeux scientifiques. Surtout que la question forte du jour, c’est la revitalisation de nos organismes de recherche avec leur démantèlement et l’emploi scientifique en berne, les budgets des laboratoires qui n’augmentent pas, les doctorants sans perspectives d’emplois. Le plan de relance dont parle Valérie Pécresse, les 730 millions, c’est du BTP. On a certes besoin de renover amphitéâtres et laboratoires, mais nous avons besoin avant tout d’investir dans l’intelligence, dans la matière grise. En Europe, aujourd’hui, de plus en plus de voix autorisés réclament cet investissement, ce recrutement de chercheurs, de docteurs en sciences, à l’image de ce qui se passe au Etats-Unis. L’une des raisons de l’affaiblissement de notre pays c’est que le doctorat n’est pas valorisé par les entreprises privées.

Valérie Pécresse : Vous ne pouvez pas me faire ce procès alors que je viens de créer un contrat doctoral, remplaçant la situation d’allocataire de recherche, afin que les docteurs puissent se vanter d’avoir non seulement un diplôme d’excellence mais aussi trois années d’expérience professionnelle, c’était une demande des jeunes chercheurs. Cette expérience pourra être prise en compte par les entreprises et par la fonction publique qui rattrapera les années de doctorat dans leur carrière. J’ajoute que j’ai augmenté de 16% le montant de l’allocation de recherche en 2 ans. C’est vrai que l’on partait de très bas et que c’est du rattrapage, je veux bien l’entendre.

Sylvestre Huet : Tous les observateurs s’accordent à dire que ce qui marche le mieux dans notre système en termes de capacité à produire des connaissances nouvelles, c’est le Cnrs, pourquoi le casser ?
Valérie Pécresse : Mais je ne veux pas le démanteler. Mais je n’accepte pas le discours : le malheur des uns fait le bonheur des autres. Ce n’est pas parce que je veux que les universités soient autonomes et des acteurs puissants de la recherche que je veux le malheur du Cnrs. Le Cnrs voit sa mission évoluer. Les Universités auront une stratégie de recherche autonome. Elle sera locale. Et le Cnrs aura une mission stratégique nationale pour les disciplines qui y sont représentées pour irriguer le territoire national.
Sylvestre Huet : Que le Cnrs ait une responsabilité stratégique nationale, c’est sa mission initiale, vous ne l’inventez pas... et vos détracteurs vous accusent de vouloir la lui retirer.
Valérie Pécresse : C’est tout l’inverse. En structurant le Cnrs en Instituts disciplinaires et en lui donnant la responsabilité de structurer ces disciplines au niveau national, nous voulons faire du Cnrs un acteur majeur stratégique, pluridisciplinaire, qui va permettre d’aider à la programmation de l’Agence nationale de la recherche.
Jean Fabbri : La stratégie scientifique des universités sera locale. Car elle se tourneront vers des financements territoriaux ou des entreprises. Nous risquons d’avoir des pilotages étroits, éloignés des enjeux scientifiques transversaux. Cela risque de mettre en cause des pans entier de la recherche.



Paul Quinio : Nous n’avons toujours pas parlé des étudiants. Avec cette crise, leur année est foutue ou pas ?
Jean Fabbri : Pas du tout. Lors de la crise du CPE, entamée en janvier, c’est un discours du premier ministre De Villepin, qui, le 10 avril, y a mis fin. J’espère que les nombreux manifestant et la grève qui se maintient avec le soutien de présidents d’université vont conduire le gouvernement à ouvrir des négociations sur l’ensemble des dossiers de manière globale. Cela permettra de sortir de ce conflit et de permettre aux étudiants d’obtenir leurs diplômes et à nos collègues de faire ce qu’ils préfèrent : de la recherche et de l’enseignement.
Valérie Pécresse : je regrette que les étudiants soient toujours les victimes des crispations entre les universités et le gouvernement. Après tout ils ne sont pas concernés par le statut des universitaires. En outre, je comprend la grève, mais pas le blocage des cours. Mais nous organiserons les rattrapages et j’espère que l’année ne sera pas compromise.

par Jean Fabbri 02 janv., 2024
Le 7 décembre, dans un discours fleuve, le président Emmanuel Macron s’est exprimé à l’Elysée sur les maux et l’avenir, tel qu’il le voyait, de l’enseignement supérieur et de la recherche devant un parterre de 300 chercheurs, représentants d’établissements supérieurs, instituts de recherche, et chefs d’entreprise. Qui veut pourra lire l’intégralité de son discours sur le site officiel. De ce qui forme un très long texte, on retiendra, au moment où il s’agit de faire « le bilan de[s] difficultés », trois constats présidentiels : l’existence de difficultés accrues depuis plus de quinze ans (c’est-à-dire depuis la mise en œuvre de la loi Libertés et Responsabilités des Universités – LRU – de Sarkozy-Pécresse, mais cela n’est pas dit), d’une surcharge de bureaucratie et d’évaluations inutiles, enfin d’une insuffisance des financements publics et privés de la recherche (malgré les 7 milliards et plus de crédit impôt recherche alloués aux entreprises chaque année, qui eux non plus ne sont pas mentionnés !). Aucune surprise dans ce diagnostic. Pratique post-démocratique Le reste de ce très laborieux discours, redondant, mal écrit et prétentieux, où se retrouvent les formules de ses proches Thierry Coulhon (ancien conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation du président de la République Emmanuel Macron, il est président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur de 2020 à 2023, aujourd’hui président par intérim de l’Institut polytechnique de Paris) et Philippe Gillet (géophysicien, ancien vice-président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, auteur d’un rapport visant à renforcer et à simplifier l’écosystème national de la recherche), aussi bien que de l’économiste Philippe Aghion, s’inscrit dans une pratique complètement post-démocratique de notre société et accessoirement de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mentionnons quelques points du premier aspect qui alertera sans doute aussi constitutionnalistes et politiques. Indifférent aux nombreuses structures d’échanges et de prospective qui existent dans le champ scientifique (tels le Conseil national de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le Comité National de la Recherche Scientifique, l’Académie de Sciences, ou le Conseil économique et social et environnemental), et rien moins qu’aux compétences du Parlement, le propos présidentiel se veut autoréalisateur d’ici dix-huit mois. Il s’agit de modifier, voire même, pour aller plus vite, de détourner des cadres réglementaires et statutaires pour prétendre gagner la bataille de l’innovation, placée comme centrale dans l’exacerbation des tensions à la fois françaises et géostratégiques actuelles. Si on se focalise maintenant sur l’enseignement supérieur et la recherche, on relève, s’ajoutant aux dissimulations relevées plus haut (qui ne sont pas rien, quand on prétend faire un constat lucide), des biais multiples. D’abord on remarque des contre-vérités sur les chaires de professeur junior (CPJ) qui seraient « aujourd’hui beaucoup plus nombreuses et mieux environnées ». Créé par une loi de 2020, ce dispositif permet le recrutement précaire, sur quatre à six ans, de potentiels professeurs d’universités ou directeurs de recherche, mieux financés que leurs collègues maîtres de conférences (pour un travail analogue). Or, ces chaires ont une attractivité moindre que les postes statutaires et n’ont fait l’objet d’aucune évaluation pluraliste sérieuse. Autre point à souligner : rien n’est dit de la baisse conséquente en euros constants à la fois des budgets de l’enseignement supérieur et de la recherche (et simultanément du nombre d’enseignants-chercheurs en poste dans les établissements publics – 1 000 alors qu’il y a 250 000 étudiants de plus en dix ans). Bien sûr, les prouesses réalisées en particulier dans les universités pour d’une part accueillir et faire réussir, c’est-à-dire diplômer puis insérer des centaines de milliers de personnes chaque année, pour d’autre part mener de significatives recherches dans tous les champs disciplinaires, ne sont même pas évoquées. Seules compteraient donc les performances élitistes de quelques laboratoires, les récompenses internationales et la possibilité de convertir en cash des procédés technologiques ? Conception utilitariste de la recherche Déjà la loi de 2020 (loi de Programmation de la Recherche) traduisait cette orientation qui marginalise encore plus le secteur universitaire des lettres/arts/sciences humaines et sociales ; même additionné du droit, de l’économie et de la gestion, il ne bénéficie que de moins de 20 % de ces chaires de professeur junior. Si le président Emmanuel Macron utilise le mot « truc » autant que le mot « rupture » dans son discours, c’est un aveu involontaire : rien de neuf dans cette conception utilitariste et de court terme de la recherche, pas plus que dans le renoncement à l’ambition d’élever globalement le niveau des connaissances, mais un très dangereux pas de plus, en revanche, dans la déréglementation et la concurrence. De quoi tuer un système original qui, il est vrai, visait à rendre, en matière de recherche et d’enseignement supérieur, un service public. La vraie et efficace rupture serait de tirer les conséquences des constats partagés : abroger la loi LRU (en particulier faire retour de la gestion de la masse salariale à l’Etat employeur), réduire et recentrer le crédit impôt recherche, comme dé-bureaucratiser et rendre pluraliste le Haut Conseil de l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur ainsi qu’augmenter significativement le budget. BIO EXPRESS : Jean Fabbri est enseignant-chercheur en mathématiques, ancien secrétaire général du SNESUP-FSU lors du vote de la loi LRU, ancien doyen de la faculté des sciences et techniques de l’université de Tours.
par Jean Fabbri 09 août, 2023
https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/27/la-refonte-de-l-enseignement-superieur-nepeut- se-faire-par-des-initiatives-isolees-et-privees_6179354_3224.html L’annonce récente de l’ouverture en septembre, à Paris, d’une filière privée d’enseignement universitaire de type « arts libéraux » ne peut laisser silencieux celles et ceux qui travaillent avec acharnement à accueillir et à faire réussir dans les établissements d’enseignement supérieur public des centaines de milliers d’étudiants, tout en menant en parallèle de très sérieux et fructueux programmes de recherche. L’initiative de la philosophe Monique Canto-Sperber et de l’économiste Philippe Aghion de lancer des formations privées de bachelor – pour débuter, disent-ils – en s’appuyant sur leur réputation d’universitaires, leurs anciennes fonctions de dirigeants d’établissements d’enseignement supérieur et de conseillers de ministres (fonctions dont ils utilisent aujourd’hui les carnets d’adresses dans les milieux économiques et leurs relais politiques pour collecter des fonds) peut apparaître comme une voie originale en France. Une sorte d’innovation dans le paysage du postbac, largement inspirée des formations nord-américaines. A l’évidence, l’accumulation des difficultés pour les jeunes bacheliers et leurs parents qui peinent à se repérer dans le paysage du postbac français – devenu depuis quinze ans extrêmement concurrentiel, de facto sélectif avec le rôle joué par le dispositif Parcoursup, et qui semble peu en phase avec la récente réforme du lycée qui a supprimé les séries – ouvre un créneau d’opportunité. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Parcoursup : des lycéens empreints de regrets sur leur choix de spécialités au bac Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections Indépendamment de ces aspects, les évolutions contemporaines des enjeux de connaissance sur l’intelligence artificielle, le climat, les énergies, le vivre-ensemble, comme sur les métiers associés, appellent indéniablement des changements dans les cursus d’études, tant en matière de contenu que dans leur organisation. Dévaluation de l’enseignement supérieur public Qui pour définir et porter ces adaptations de l’enseignement supérieur ? Le monde universitaire public – universités et grandes écoles – est-il en capacité d’y contribuer ? Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences Découvrir Dans la tradition de service public français, la réponse devrait être positive, et il tient au pouvoir politique de donner, à cette fin, les moyens aux universités d’être à la hauteur de ces défis. Mais ces moyens (budgets, personnels statutaires en nombre suffisant) leur sont délibérément refusés depuis plus de vingt ans, conduisant tout à la fois aux difficultés d’accueil (pas assez de places, pas assez de temps pour encadrer les étudiants en petits groupes) et à des lourdeurs bureaucratiques et chronophages qui rendent stériles et freinent toutes les évolutions. Un exemple concret : malgré un besoin évident de cursus de licence pluridisciplinaires scientifiques pour accéder au métier de professeur des écoles, le ministère a régulièrement refusé ces ouvertures, l’autonomie des universités n’étant qu’une fiction. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Autonomie des universités : « Nos établissements restent corsetés dans un ensemble de contraintes qui entravent leurs capacités d’action » Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections L’insuffisance des capacités d’accueil dans les universités, qui est la réalité du contexte d’entrée dans le postbac, est telle que se multiplient les formations privées payantes, incluses ou non dans le dispositif Parcoursup, aux contours nébuleux, tant en matière de contenu de formation que de qualification des enseignants, et dans une quasi-absence de contrôle exercé par la puissance publique. On pourrait s’étonner que soit ainsi portée, délibérément hors du service public, l’initiative brandie comme si originale de Monique Canto-Sperber et Philippe Aghion, très bien introduits dans les cabinets ministériels, et depuis longtemps. Sauf à considérer que l’opération s’inscrit comme une étape supplémentaire dans la dévaluation de l’enseignement supérieur public largement engagée depuis vingt ans. Impact des logiques marchandes Plusieurs anciens ministres émargent désormais dans les « boards » de groupes privés d’enseignement supérieur nationaux ou internationaux, tels que Martin Hirsch et Muriel Pénicaud, au sein du groupe privé Galileo. Le modèle international dominant – hautement profitable – est, on le sait peu en Europe latine, la marchandisation à outrance du secteur de l’enseignement supérieur. Les plus spectaculaires bouleversements ayant eu lieu au Chili et en Europe centrale depuis la chute du mur de Berlin. L’endettement de générations d’étudiants, son poids dans le système bancaire sont des aspects connus depuis les menaces sur la stabilité de certaines banques aux Etats-Unis, en passant par les révoltes étudiantes au Chili, comme au Royaume-Uni, il y a moins de dix ans. Mais l’impact de ces logiques marchandes sur les contenus de formation est peu documenté. Pourtant, quelques pistes d’analyse se dessinent. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Prêts bancaires : « Les étudiants subissent les contraintes de l’endettement tandis que les Etats plombent leurs finances publiques » Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections Le constat le plus partagé est un reflux du nombre d’étudiants et, en moyenne, du niveau de formation et d’exigence dans les disciplines académiques (lettres, histoire, mathématiques, physique…), avec des impacts directs sur les capacités de recherche publiques et privées, par exemple le renouvellement des enseignants des premier et second degrés. On mesure aussi le développement de filières extrêmement appliquées autour de l’informatique et de la biologie, pour lesquelles on peut rester interrogatif sur la pérennité des qualifications obtenues. Mais dans ce nouveau cadre domine la croissance incontrôlée de formations se présentant comme généralistes « de haut niveau », dont les plus emblématiques sont celles de type Sciences Po, dont les débouchés sont objectivement faibles. Sauf à donner l’illusion ou à avoir le dessein, une tendance que marque aussi le projet que nous évoquons ici, de voir leurs diplômés occuper la quasi-totalité des fonctions d’encadrement publiques et privées, mais sans aucune compétence singulière. Fonctionnement en mode « survie » Les besoins d’élargir et renouveler les formations sont réels, les universitaires ne manquent pas d’idées, qu’il s’agisse des contenus ou des modalités d’enseignement à côté des formes traditionnelles, mêlant travaux collectifs, activités « en mode projet », jeux de rôles. Rien n’assigne l’enseignement supérieur public et les universitaires français et étrangers qui le font vivre au conservatisme (qui n’en est pas la réalité, mais une caricature), sauf une asphyxie de moyens qui se creuse année après année et qui incline à un fonctionnement en mode « survie ». Oui, l’examen des évolutions dans les parcours d’études et post-études dans les dix dernières années, des diplômés de moins de 35 ans en particulier, appelle de réels changements : près de 30 % de reconversions, souvent même avant de se stabiliser dans le moindre emploi ; une prise de conscience accélérée des modifications de modes de vie liées au besoin de préserver la planète, qui suppose déjà d’éviter de parcourir trois fois le monde en « mobilité internationale »… Tout cela pousse à une profonde refonte de l’enseignement supérieur. Celle-ci ne peut se faire par des initiatives isolées. Elle appelle, au contraire, un très large débat de société. Il convient d’alerter, pas seulement parce que cette démarche contribue injustement, une fois de plus, à la dévaluation du service public universitaire auprès des jeunes et des parents, ni même pour souligner le côté peu glorieux de cette entreprise, qui mord la main de qui l’a nourri, mais parce qu’elle promeut un modèle déjà « has been » d’enseignement. Jean Fabbri est l’ancien directeur de la faculté des sciences et techniques de l’université de Tours (2012-2017) et l’ancien secrétaire général du Snesup-FSU (2005-2009). Jean Fabbri(enseignant-chercheur)
par Jean Fabbri 23 avr., 2023
Les chaires de professeur junior (CPJ) sont un dispositif présenté par le gouvernement Philippe en 2020 (avec F. Vidal au MESRI) dans le cadre de la loi LPR pour casser la logique du recrutement d’enseignants-chercheurs ou de chercheurs par la voie statutaire –en tant que Maitres de Conférences ou Chargés de Recherche. Sur un petit nombre de supports demandés par les établissements universitaires (voire d’organismes de recherche) et validés par le ministère sont ainsi recrutés pour une durée maximale théorique de 5 ans-et donc en CDD- des titulaires d’une thèse, de nationalité française ou non, susceptibles de produire une recherche thématisée dite d’excellence et de « gagner » directement au terme du contrat et après validation du CDD par une commission ad hoc, le statut de Professeur d’université ou de Directeur de Recherche. Ces chaires bénéficient de conditions de rémunération et de moyens budgétaires de travail scientifique bonifiés en comparaison des salaires et des conditions de travail des Maîtres de Conférences statutaires. Quelques chiffres A la date du 10 janvier 2023, le ministère avait autorisé 173 chaires sur les campagnes 2021, 2022 et 2023. Quelques champs disciplinaires concentrent beaucoup plus que d’autres ces chaires : 35 informatique/électronique, 26 biologie (au sens large), 11 économie, à comparer avec 5 chaires pour l’ensemble des lettres et langues. Transparait ainsi la priorité de ce dispositif : ajouter le mécanisme des chaires aux multiples passerelles entre le monde de la recherche publique et les sphères économiques et financières qui cumulent déjà, au titre du Crédit Impôt Recherche, des ANR et du plan de relance, en particulier dans les secteurs économiques qui apparaissent ci-dessus, de considérables aides financières de l’Etat. Un difficile bilan des recrutements Toutes les chaires publiées jusqu’ici n’ont pas été pourvues. Les fiches de poste aux exigences souvent pluridisciplinaires délirantes découragent à bon droit et entrainent de facto un petit nombre de candidatures, parmi lesquelles le jury constitué (bien sûr de collègues internationaux de « premier ordre ») se refuse à choisir un. e candidat.e dont l’ « excellence » n’est pas encore avérée. Le silence du ministère et des établissements sur le simple bilan factuel de ces recrutements est édifiant. Ni l’âge moyen des candidats et des lauréats, ni la nationalité, ni leur situation précise au moment du recrutement n’ont été systématiquement récoltées (jeune docteur de l’établissement, post doc depuis N années dans l’établissement, collègue déjà statutaire mais souhaitant bénéficier de la manne financière disponible,…). Ni France Université (ex CPU), ni les services statistiques du ministère n’ont publié d’enquête. Au plus tôt selon les services du MESRI, un aperçu des deux premières campagnes sera joint au bilan annuel des concours (annoncé pour juillet 2023). Les analyses syndicales confortées Dans toutes les instances nationales de concertation le dispositif CPJ a été repoussé par le SNESUP et le SNCS (FSU), syndicats les plus représentatifs des personnels concernés qui, de longue date, revendiquent des recrutements massifs au plus près de la thèse sur des emplois statutaires avec des aménagement de service en début de carrière pour démarrer in situ des projets de recherche adaptés à l’environnement scientifique de l’établissement d’accueil. Contre ce dispositif des chaires toutes les organisations syndicales se sont montrées cohérentes et solidaires. Comme pour les « chaires mixtes » soutenues par V. Pecresse et N. Sarkozy en 2007, peu à peu abandonnées, ce dispositif qui introduit une concurrence infondée entre jeunes collègues est inadapté régressif. Il constitue un effet d’aubaine pour certains laboratoires lancés comme beaucoup d’autres, et sans scrupules, à la recherche de fonds et de renforts scientifiques. Dans son mécanisme il faut relever la considérable régression qu’il constitue, puisqu’au contraire des recrutements « ordinaires » de MC ou de CR, ceux qui concernent les chaires sont effectués exclusivement par des PU et des DR. Cela affaiblit non seulement la forme spécifique de démocratie universitaire qu’est la collégialité, mais diminue la dynamique globale qui relève des missions communes des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Le « modèle mandarinal » qui reste celui en vigueur dans le monde hospitalo-universitaire fait par ce biais un retour en force inédit depuis 1968 dans l’ensemble du monde académique. Les CPJ sont bien emblématiques de la conception libérale de la Recherche que portent depuis des années les gouvernements…et la bataille pour y faire échec est bien essentielle.
par Jean Fabbri 23 avr., 2023
Parmi des dizaines d’autres documents et témoignages, le compte rendu du Congrès SNESUP de Dunkerque (2006) fait dans le mensuel du SNESUP qui venait d’inaugurer sa nouvelle formule, https://www.snesup.fr/sites/default/files/asset/Actes-du-Congres-Dunkerque-2006.PDF montre, comme aujourd’hui les luttes pour les retraites, la capacité de gagner d’un mouvement social clair, déterminé et unitaire. « Victoire contre le CPE » telle était la banderole couvrant la tribune. A cette date Sophie Binet représentait l’UNEF, comme membre de son bureau national. Elle en deviendra par la suite vice-présidente, associée aux directions de B. Julliard puis de J.-B. Prévost, et toujours au premier plan de la construction de convergences fortes avec des partenaires. En ces années 2005-2010 d’un syndicalisme étudiant rassemblé et d’une forte présence conjointe de l’UNEF et du SNESUP dans un grand nombre d’universités, c’est d’abord de ces deux organisations, largement en phase pour lutter pour la démocratisation de l’enseignement supérieur, l’égalité des chances, l’augmentation des budgets et des emplois statutaires que sont venues les initiatives rassembleuses. Le CNESER où Sophie Binet a siégé aussi comme étudiante, a été exemplaire des motions co-écrites entre l’UNEF et le SNESUP, ralliant ensuite un front plus large d’organisations : CGT souvent, FO tantôt, FAGE et SGEN parfois… Enseignant-chercheur à Tours, et en même temps secrétaire général du SNESUP de 2005 à 2009, j’ai donc partagé avec Sophie Binet des réunions, des manifestations, des congrès, des délégations auprès de parlementaires, des phases de négociations aussi dans les résistances à la loi LRU poussée dès juin 2007 par N. Sarkozy et V. Pécresse. Qu’étudiants et personnels -en toute indépendance les uns et les autres- ne partagent pas les mêmes options sur l’évolution de l’enseignement supérieur pouvait et peut se concevoir, et les manœuvres du pouvoir (et de nombreux exécutifs régionaux) n’ont pas manqué, mais UNEF et SNESUP ont réussi à maintenir leur opposition solidaire jusqu’à l’automne 2007. Ce fort enracinement conjoint dans les luttes pour défendre l’universalité de l’enseignement supérieur et de la recherche publiques a joué ensuite un rôle de tremplin et d’accélérateur dans la bataille de 2009 menée par les universitaires pour maintenir les garanties statutaires des enseignants-chercheurs. Evoquer la personnalité de Sophie Binet et cette période rend optimiste, même des années plus tard, après son élection à la direction de la CGT. Les enjeux et perspectives de construction d’un syndicalisme renouvelé, fort et rassemblé, qui s’élaborent en ce moment dans la formidable bataille pour défendre le droit à la retraite, et qui traversent en particulier le SNESUP, la FSU et la CGT apparaissent à portée de nous. Le syndicalisme du XXI siècle a de l’avenir et ajoutera d’autres victoires après celle du CPE. Jean fabbri
par Jean Fabbri 02 janv., 2023
Partout désormais dans les établissements d'enseignement supérieur, sont désormais connus les résultats des deux premières campagnes de « repyramidage », c'est à dire du dispositif conçu par le gouvernement comme temporaire (sur 4 ans) pour corriger des déséquilibres entre Maitres de Conférences (MC) et Professeurs d'Université (PU) - mieux payés - au sein des laboratoires et départements d'enseignement. Il y a bien peu de « lauréats », c'est-à-dire de passages MC->PU, et beaucoup beaucoup d'insatisfactions. Le nombre d’emplois d’enseignants-chercheurs ayant été notablement réduit depuis 10 ans, l’âge moyen de recrutement MC dépasse les 35 ans et celui de PU plutôt 47 avec des grandes disparités selon les disciplines. L’objectif affiché par les gouvernements d’un ratio 40% PU, 60% MC loin pourtant des aspirations des personnels concernés est resté lettre morte. Ce sont donc beaucoup de quinquagénaires universitaires qui ont des carrières tronquées. Le dispositif « repyramidage » était affiché comme un correctif… et un troc avec certains syndicats (SGEN et UNSA) pour faire accepter la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) et sa logique d’amplification des déséquilibres dans les statuts et les financements des établissements d’enseignement supérieur. Lié à la LPR adoptée sous la précédente législature, ce repyramidage se révèle (*) un terrible piège et désespère les collègues encore plus que le très petit nombre de postes de PU accessibles depuis 10 ans. L'université va tellement mal, la charge de travail en enseignements comme en dispositifs d'accompagnement des étudiants (pédagogiques et administratifs) si lourde, la tension si vive en matière de recherche, que le besoin de reconnaissance des enseignants-chercheurs est considérable tant sur le plan salarial que symbolique. D'autant que s'est un peu artificiellement construite dans les têtes une hiérarchisation terrifiante entre les deux corps MC et PU qui, au principe, solidarisent les enseignants-chercheurs sur les mêmes missions. À côté de quelques collègues – dont les demandes de promotion ne sont pas en cause – qui ont obtenu satisfaction, ce sont dans chaque établissement (université, Ecole…) des dizaines de collègues, et en France des milliers, qui se voient écarté·es … et, le plus souvent, par leur voisin de bureau. Le dispositif du ministère, cohérent avec les « appels à manifestation d’intérêt pour des projets » dont dépendent les financements des activités de recherche, semble atteindre son objectif : faire de chacun·e le concurrent de tous ses collègues de la même discipline dans une logique managériale qui s'oppose aux besoins de coopérations et d'échanges qui sont au principe des avancées scientifiques. Au niveau national, ce dispositif ne peut au mieux que donner satisfaction (au bout des 4 ans) à moins de 15% des collègues MC titulaires de l'Habilitation à Diriger les Recherche (HDR)- certains d’entre aux depuis plusieurs dizaines années et « qualifiés » aux fonctions de professeur depuis très longtemps. C'est donc bien un leurre… et pas du tout la bonne méthode pour corriger les retards de carrière. En effet, les missions d'enseignement et de recherche portent de manière indissociable des dimensions collectives et individuelles qui s'imbriquent dans les démarches de chacun·e : le service public universitaire doit être en mesure de conforter cet engagement en offrant des carrières attractives. Ce n'est pas la voie choisie par le gouvernement : entre repyramidage et imposition d’un système de « primes » (le RIPEC (**), c'est en plus à un considérable « travail » chronophage d'examen de candidatures, de dossiers, d'auditions qu'il a contraint les universitaires membres des sections du Conseil National des Universités, des Conseils Académiques des établissements… pour un effet marginal puisque ne seront concernés au mieux que moins de 4% des enseignants-chercheurs pour l’aspect « repyramidage ». Le sous-investissement délibéré-organisé par les gouvernements successifs (qui par ailleurs ont abondé le Crédit Impôt Recherche devenu une niche fiscale pour les grandes entreprises jusqu’à 7 milliards d’euros par an) - en emplois statutaires indispensables pour accomplir les missions de l'université (+30% de charge de travail et -10% de personnels en 10 ans !!), réclame au moins deux (***) dispositifs d'urgence. L'un pour CRÉER de nouveaux emplois dans toutes les catégories de personnel, donc y compris significativement des postes de Professeurs d'Université ; l'autre pour opérer les RATTRAPAGES de carrières pour les milliers de collègues écartés des promotions par l'indigence des moyens des universités. Avec tous les collègues, dont certain·es – et nous le comprenons – ont vécu cette campagne de repyramidage comme une humiliation et sont près de baisser les bras, il convient de faire entendre enfin au gouvernement le besoin de revalorisation globale de ces métiers tant sur le plan des perspectives de carrières, de salaires, comme de reconnaissance égale et effective des contributions à la recherche et à l'enseignement des PU comme des MC. Cette affaire va bien au-delà des universitaires, il s’agit rien de moins que de la qualité de l’enseignement et de la recherche dans le pays. Jean Fabbri Enseignant-Chercheur, secrétaire général du SNESUP (2005-2009), ancien doyen de la faculté des sciences et techniques de l’université de Tours --- (*) certains et quelques organisations syndicales dont le SNESUP avaient critiqué l’insuffisance tant du volume des emplois ouverts à la promotion que des modalités d’accès ; modalités sur lesquelles le ministère est resté sourd aux critiques. (**) RIPEC = Régime Indemnitaire des Personnels Enseignants-Chercheurs (***) Nous n’abordons pas ici les indispensables besoins en matière de conditions de vie étudiante, de locaux, de santé universitaire,…qui réclament aussi un véritable plan d'urgence
par Jean Fabbri 02 août, 2022
Après lecture d'un billet de rogueEsr publié sous le titre "Décevoir l'attendu" et rediffusé par Joël Pothier, en avril 2022, je posais quelques questions (voir ci-dessous) qui restent aujourd'hui, veille de 1er mai,. ..comme en suspension. Revenons-y, cette fois sous un titre plus explicite! Colères légitimes des universitaires, analyses lucides, activisme de quelques un.e.s pour vivifier colères et analyses et entrainer à l'action - y compris ce premier mai dans les cortèges initiés par les organisations syndicales- et après? Je le disais : l'escamotage de la question syndicale n'est plus tenable. Pourtant, billets après billets, rogueEes -après d'autres collectifs auparavant depuis 20 ans- élude délibérément cette interrogation, y compris paradoxalement hier 29 avril en invitant (et il faut s'en réjouir) à ce temps fort international du mouvement ouvrier qu'est le 1er mai (auquel quels que soient les champs professionnels les organisations syndicales et/ou confédérations, se rattachent au moins sur le plan historique). Dans ce qui s'apparente à une volonté de s'éloigner d'une "forme" syndicale, à défaut d'arguments qui viendraient d'un discours de science politique, sont évoqués plusieurs éléments qui méritent l'analyse : 1) l'inefficacité des syndicats. Dans le milieu de l'enseignement supérieur et de la recherche (J. Pothier l'évoque dans un message récent) est mis en avant ce que beaucoup appellent l'échec du mouvement universitaire de 2009 . Ce moment fort de luttes intenses (manifestations locales et nationales au cours d'une longue période de grève) avait de nombreux enjeux à la fois successifs et simultanés : la contestation globale de la loi LRU (après le premier temps des actions de 2007), le refus de l'alourdissement des services d'enseignement des enseignants-chercheurs appelé "modulation", dispositif inclus dans la révision du décret statutaire; et la "réforme" de la formation des enseignants et des concours. Tant sur le plan du cadre législatif universitaire que de la formation des enseignants, la très importante mobilisation des collègues, additionnée selon les moments de celle des étudiant.e.s et/ou de celle des collègues du premier et du second degré, n'a pas produit d'effet majeur sur le long terme et tout au plus infléchi ou retardé certaines dispositions annoncées par le gouvernement. Il en est tout autrement de la "modulation des services", certes le décret a été modifié, mais nulle part depuis près de 15 ans, un.e collègue titulaire ne fait plus de 192h eqtd, sans être payé en HC. Ce n'est pas rien! Ni pour tous les collègues, ni pour nos revendications visant aux indispensables créations d'emploi. Parler d'échec est donc à la fois simplificateur...et démobilisateur. Il ne s'agit pas d'enjoliver les dynamiques d'actions collectives et leurs résultats mais de porter l'exigence de lucidité critique sur le proche passé et sur la construction de mobilisations à venir. A défaut, après de pertinentes analyses, l'appel à l'action, même au renouvellement des formes d'actions, apparait comme incantatoire. Dans le moment revendicatif de 2009, où trouver la disqualification du syndicalisme (par essence) ou de tous les syndicats? Encore une fois, l'examen des faits tant dans les mobilisations locales, que dans la circulation des informations visant à fédérer celles-ci et à construire le rapport de forces avec le pouvoir montre le rôle du SNESUP. On ne peut en dire autant du SGEN bien sûr, ni d'autres organisations ou collectifs aux implantations plus ténues. 2) activisme ou militantisme. Le premier de ces mots est redevenu très valorisé en particulier dans le domaine des luttes féministes comme dans celui des luttes pour préserver la planète. Le second porte en lui une rigidité toute militaire qu'il convient à juste titre de bannir de toutes les formes de rassemblements utiles pour construire du "mieux vivre et travailler ensemble" et en particulier des pratiques syndicales. Au delà des mots, il ne s'agit pas que d'une posture d'engagement individuel pour des causes collectives comme le sont celles qui préoccupent un grand nombre d'universitaires. De quoi avons nous besoin pour fédérer autour de nos revendications et les voir aboutir? La relecture du programme d'interventions de la rubrique "Que faire" dans le billet de Rogueesr évoqué plus haut, présuppose un dispositif co-élaboré, construit à l'échelle de toutes les universités selon un calendrier convergeant ...et en liaison avec des délibérations d'instances universitaires locales. Qui co-élabore et qui peut mener à bien ce vaste programme? La première question soulève celle de la démocratie et de la transparence qui n'est pas facilement compatible avec l'usage d'un pseudonyme collectif. La seconde suppose une capacité d'exposer avec légitimité aux collègues, à la presse et au pouvoir des revendications et de négocier tant localement (sur ce qui relève du local) qu'avec le gouvernement. C'est ce qu'est une organisation syndicale! N'ajoutons ni discrédit, ni une organisation supplémentaire, à celles, déjà bien trop nombreuses sur des analyses et des objectifs proches. Travaillons dans une logique unitaire : ne nous épuisons pas à nous diviser. Colères, activisme...et syndicalisme... explicite et hautement indispensable après les résultats de l'extrême-droite le 10 avril et l'élection de Macron le 24. A suivre en de sincères et constructifs débats... jean fabbri _____________ Alors, que faire? S'inspirer d'intellectuels lucides pour adopter aujourd'hui la même exigence -tant individuelle que collective - est une nécessité. Nous avons pour beaucoup en commun les mêmes analyses radicalement critiques du monde économique et de la société (dont le monde universitaire) façonnée aux intérêts financiers. Pourquoi alors arrêter la lucidité dès qu'il s'agit d'examiner le corps social universitaire (complexe, traversé de tensions et marqué par la précarité) que nous formons, et ignorer les ferments de résistances collectives qui sont là? Après SLR, SLU, Sciences en Marche, le collectif Jean-Pierre Vernant, ...et j'en oublie, l'escamotage de la question syndicale est une constante qui interroge. Cet "oubli", cet "impensé" n'est plus tenable. Tant sur le plan intellectuel que sur le plan pratique. Confrontons nous collectivement à cette exigence avec la lucidité affichée par ailleurs. Posons la question franchement : ces organisations de luttes et de solidarités fondées sur le rapport au travail (conditions de travail, droits sociaux, salaires,...) sont elles obsolètes? Autour de nous, en France comme à l'étranger, les paysages syndicaux sont très différents, peut-on ignorer les batailles pour l'emploi, pour les salaires et le pouvoir d'achat menées dans nombre d'entreprises, les luttes contre l'uberisation, ...avec les syndicats...même les batailles pour avoir droit de se syndiquer (Amazon aux USA) !! N'hésitons à pas à la critique des modes d'organisation, de fonctionnement, ...cherchons à fédérer, à surmonter les divisions syndicales lorsqu'elles sont seulement des questions d'appareil. Il y a un avenir pour un syndicalisme universitaire repensé, égalitaire donc nous aidant à dépasser une logique mandarinale sclérosante qui ajoute indéniablement aux difficultés ...mais agir pour ce dépassement est aussi un puissant stimulateur!! À suivre
par Jean Fabbri 31 mars, 2022
C’est à Valérie Pécresse, nommée dans le premier gouvernement de F.Fillon, au lendemain de l’élection du président N.Sarkozy en 2007, qu’incomba la mise en forme puis le vote de la loi « Libertés et Responsabilités des Universités » (LRU). Première loi de ce quinquennat, il s’agissait de tourner la page des héritages de lois E. Faure (1968) et A. Savary (1984) dans lesquelles l’organisation universitaire s’inscrivait dans une logique de service public à cohérence nationale en écho aux temps forts sociaux et politiques que furent mai 68 et mai 81. Ce fut une rupture. Les questions d’enseignement supérieur, de recherche, d’indépendance et de souveraineté reviennent (un peu) dans le débat public à l’occasion de la prochaine élection présidentielle tant par celle qui est devenue la candidate LR que par les propos du président sortant le 13 janvier dernier. Examinons, au regard des orientations et de la méthode, les traits majeurs de cette loi et de ses conséquences (budgets, crédit impôt recherche, décret statutaire des enseignants chercheurs), comme la cascade de dispositifs prolongeant cette impulsion initiale (lois Fioraso de 2013 et Vidal de 2020) ; puis tentons un bilan au regard des besoins nationaux ainsi que des comparaisons internationales. En juin 2007 la feuille de route transmise à V. Pécresse veut exploiter les ambiguïtés des dispositions adoptées à la fin du second mandat de J. Chirac en 2005, à la suite du mouvement revendicatif « sauvons la recherche » qui protestait contre les diminutions d’emplois dans le secteur de la Recherche publique. Il s’agira de pousser à l’extrême la logique liée à la création (sur un modèle importé des USA) de l’Agence Nationale de la Recherche. Celle-ci privilégie des recherches qui s’organisent en réponse à des « appels à projets » élaborés de manière plus ou moins opaque par divers financeurs potentiels de la recherche, au détriment d’une logique de financement récurrent laquelle laisse une large initiative scientifique et une temporalité plus ample aux chercheurs, enseignants-chercheurs et aux laboratoires qui structurent les communautés scientifiques. Ajoutés à la croissance continue du nombre d’étudiants, deux arguments idéologiques sont mobilisés par le gouvernement en 2007: un populisme trivial qu’instrumente N. Sarkozy avec le thème rebattu de chercheurs qui cherchent mais trouvent peu et le libéralisme inspiré du modèle américain individualiste et concurrentiel. S’appuyant sur une vision très fragmentaire des universités américaines réduite aux plus prestigieuses et à l’opportun « classement de Shanghai », V. Pécresse a fait croire- à qui le voulait bien- que d’une autonomie administrative accordée aux établissements d’enseignement supérieur, découlerait inévitablement abondance de financements et rayonnement pour ceux qui le méritent. Des fondations disait-elle collectant, auprès de donateurs privés et d’entreprises, des millions d’euros étant désormais susceptibles de faire ruisseler l’argent vers les meilleurs. Conjugaison du libéralisme et du populisme, la terminologie vantant l’excellence s’est emballée, les appels à candidatures pour : laboratoires d’excellence (Labex), initiatives d’excellence (Idex), équipements d’excellence (Equipex), chaires d’excellence,… ont ainsi rythmé les années de V. Pécresse au ministère. Résultat : quelques bénéficiaires et surtout beaucoup de chercheurs et d’enseignants-chercheurs épuisés et niés dans leur travail, car la recherche n’avance ni à un rythme uniforme ni par sauts spectaculaires. On le sait trop peu (même si aujourd’hui la crise sanitaire de la Covid a fait évoluer les mentalités) : le travail collaboratif souvent lent de confrontation/vérification/publication est un maillon essentiel des avancées scientifiques. C’est une donnée universelle que ce ministère ne peut ignorer…mais dont une ministre qui vise plus à communiquer avec l’opinion publique qu’à prendre en compte les difficultés des étudiants et des personnels peut se passer. On trouve là une constante que V. Pécresse érige en principe politique. Ainsi malgré le constat alarmant de 2004 (Etats Généraux de la Recherche à Grenoble) partagé par tout l’échiquier politique qui a exhorté à une relance de l’investissement en budgets et en emplois pour l’enseignement supérieur et la recherche, elle présente les universitaires qui-cohérents avec les préconisations de Grenoble- s’opposent au projet de loi LRU sous la forme d’une caricature facile : ils seraient le « statu quo », elle est « la réforme » ! Dans le même registre manipulateur, en étroite relation avec C. Guéant alors secrétaire général de l’Elysée, elle chercha à diluer, dans les rares phases de rencontres associées aux manifestations et aux grèves qui s’opposaient à son projet de loi, la représentation fidèle et lucide du monde universitaire issue des scrutins professionnels (ceux-ci accordaient au syndicat SNESUP-FSU une audience de plus de 40%, largement la plus importante) au milieu d’une avalanche d’associations et d’organisations –une cinquantaine- les plus fantaisistes. Prolongeant la campagne électorale de N. Sarkozy, inscrite dans une logique d’hyper-présidentialisation, la loi LRU qu’elle met sur orbite en juillet 2007 cherche à installer une « gouvernance forte » des universités incarnée par un président-manager. L’avant-projet de loi ira même jusqu’à favoriser le recrutement des présidents d’université parmi celles et ceux qu’elle connaît le mieux : les énarques. Cette mesure sera combattue par la majorité des universitaires puis abandonnée comme d’autres, sur lesquelles elle manœuvra en recul. Le même scenario se répéta en 2009, quand la révision -à son initiative- du décret statutaire régissant les conditions de recrutement, de carrière et de travail des enseignants-chercheurs, apparut avant tout comme un dispositif visant à augmenter (pour faire face à moindre coût au nombre d’étudiants) les obligations de service d’enseignement de certains d’entre eux selon des règles opaques. Rejeté par la grève et des manifestations inédites chez ces personnels, un nouveau décret fut publié en force mais la mesure phare de « modulation de service » n’entra jamais en vigueur…et la ministre fut exfiltrée de son ministère vers celui du Budget. 15 ans plus tard, on peut mesurer les effets. S’inscrivant certes dans une séquence plus longue, commencée à la fin des « 30 Glorieuses », qui avait vu la massification de l’enseignement supérieur, le début de la désindustrialisation, des logiques de concentration –synonymes d’économie d’échelle et de désengagement - y compris dans le monde des laboratoires privés de recherche, la loi LRU a bien marqué une rupture dans la conception française d’un homogène service public universitaire et de recherche de haut niveau. Le cadre national des diplômes s’efface au profit des labels des établissements qui les délivrent, la concurrence s’exacerbe tant pour l’accès aux formations que pour le financement des formations et des recherches. Les dispositions législatives ultérieures de 2013, 2018 et 2020 (les lois ORE et LPR) ont accentué ces traits essentiels comme la continuité de l’insuffisance budgétaire : fragilisation de l’entrée dans le post-bac pour l’immense majorité des bacheliers, recul du nombre de thèses, diminution du nombre de personnels statutaires. A ces aspects quantifiables s’ajoutent des régressions plus insidieuses : collégialité –pourtant si essentielle aux débats scientifiques et au pluralisme des recherches- démantelée au profit d’une logique managériale totalement inadaptée aux enjeux multiples et pluridisciplinaires au cœur de la vie universitaire. Amplifier ces mécanismes parait l’objectif d’E. Macron pour les cinq ans à venir, c’est ce qui ressort de son bilan et de ses déclarations du 13 janvier : aiguillages renforcés pour exclure nombre d’étudiants des poursuites d’études et de réorientation, concentration de l’effort budgétaire de l’Etat sur un très petit nombre d’établissements et de thématiques créant de facto des universités de seconde zone, mise en avant du prix coutant des études dans une logique de financement par les étudiants. Sur ces questions la convergence Macron-Pécresse est totale et on peut dire sans forcer le trait que l’actuelle ministre F.Vidal (ou un.e autre à la suite) avec E. Macron n’est et ne sera qu’un clone de V. Pécresse. Sans surprise, avec les spécificités universitaires, cela traduit la crise de nombreux services publics (santé, justice, éducation,…) : budgets insuffisants, statuts rognés, bureaucratisation et logiques managériales qui prévalent désormais en termes de missions comme en matière de gestion des personnels avec une tendance lourde à la précarisation (près de 40% de non titulaires dans le supérieur). Les comparaisons internationales ont elles donné raison à V. Pécresse et à ses successeurs? D’évidence le seul « classement de Shanghai » (encore évoqué par E. Macron le 13 janvier) où certaines universités françaises fusionnées entre elles ont bien sûr gagné quelques places ne suffit pas ! Côté financement de la Recherche l’augmentation considérable du Crédit Impôt Recherche (CIR) atteignant désormais plus de 7 milliards d’euros par an fondé sur une déclaration des entreprises (matériels nouveaux, niveau de diplomation des salarié.e.s) laisse sceptiques en terme d’efficacité même les plus modérés des parlementaires. La logique de l’applicabilité de la recherche menée dans les universités et les laboratoires publics de recherche, qui viserait à « booster » ce qui est appelé innovation vers les entreprises, n’a pas fait non plus la preuve de son efficacité. Au contraire on décèle même un triple aspect négatif : le plus évident est de désengagement des firmes privées d’une part conséquente de leurs activités propres de recherche, le secteur de la pharmacie est sur ce plan édifiant 70% des effectifs « recherche » de Sanofi ont disparu, par ailleurs les appels à projets dits structurants – big data, hydrogène, santé par exemple- sont avant tout des dispositifs d’aubaine pour des entreprises auxquels une flopée de microsociétés satellites conseillent et vendent des montages et des organigrammes associant structures publiques et privées, collectivités territoriales et fonds d’investissements…sans qu’une grande réalité scientifique n’étaye toujours l’affaire. On est ni très loin des « avions renifleurs » ni des « quotas carbone ». Dans cette politique, et ce n’est pas le moindre des effets, les sciences humaines et sociales, sont plus encore négligées quand elles ne sont pas instrumentalisées ou méprisées. Pourtant dans tous les champs d’études la production de nouvelles connaissances s’étend sur tous les continents; partout l’accès à ces connaissances est une aspiration des sociétés civiles. C’est une condition largement perçue comme nécessaire, pour faire face aux défis d’une civilisation mondialisée. Les bonds en avant de l’enseignement supérieur et de la recherche se multiplient sur la planète même s’ils s’inscrivent dans des logiques économiques et idéologiques variées. Impossible d’ignorer sur ce point la question des brevets, ni celle du débauchage de scientifiques de haut niveau côté recherche ; ni, côté université, d’ignorer les enjeux de démocratisation, le coût réel des études, la sincérité des diplômes comme la reconnaissance objective de ceux-ci (en particulier pour supplanter les logiques de réseaux dans l’accès à l’emploi qualifié et/ou rémunérateur). La révolte en 2018 des étudiants au Chili- pointe avancée du libéralisme universitaire sous le régime Pinochet et à sa suite- a été l’un des détonateurs d’un mouvement social d’ampleur et le ferment de la reconstruction des forces progressistes, preuve, s’il en est besoin, que les questions universitaires ne se traitent ni en vase clos ni sans incidence sur la société toute entière ! A l’heure bien sonnée du réchauffement climatique causé par des pratiques humaines irresponsables est-il toujours d’actualité de voir la science et les formations universitaires sous le seul aspect d’un marché mondial ? Faut-il multiplier les flux d’étudiants sur les lignes aériennes internationales ? Peut-on vraiment envisager comme E. Macron faire venir 500 000 étudiants (avant tout solvables dit-il) pour équilibrer le budget des universités françaises, sans pour autant pour ceux-ci, dans bien des cas, obtenir ni un réel différentiel de contenu de formation ni un accès significatif à la langue et à la culture française? En matière de conditions d’études et de recherche, même avant la crise de la COVID 19, ni la contribution de l’Etat, ni les efforts spécifiques des universités financièrement exsangues, n’étaient à la hauteur des besoins. Le vécu des étudiants et des personnels durant ces deux années a par contre prouvé le caractère indispensable d’un changement d’ordre de grandeur dans le soutien matériel aux étudiants (résidences universitaires, bourses conséquentes,…) comme d’une pédagogie vivante fondée sur des échanges dans les salles de cours, les amphithéâtres, sur la pratique de travaux encadrés et l’illusion des avatars numériques et « distanciels ». L’architecture et le financement du monde universitaire français redessinés par la loi LRU n’ont pas répondu aux besoins réels de notre société. Ce constat invite à trouver d’autres voies pour redresser le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Osons-en quelques-unes. • Supprimer le CIR (gain 7,2 milliards!), pour une réorientation massive vers les universités et de l'élaboration d'un véritable dispositif de soutien public à l'emploi scientifique de haut niveau • Intégrer budgétairement tout le post bac et toute la recherche publique au sein d'un même ministère (y compris BTS, CPGE -du côté de l'enseignement- et les crédits "recherche" des ministères techniques). Elaborer un nouvel outil de répartition des moyens de l’Etat aux établissements puisque le dernier en date a été abandonné au profit de pseudo négociations entre le ministère et les exécutifs des établissements. Rendre à l’Etat sa responsabilité et revenir à une gestion nationale des personnels en sortant la masse salariale des budgets des établissements. • Ouvrir des milliers de place en licence et en master en faisant l'économie des mesures de sélection (qui outre leur dimension discriminatoire, sont très bureaucratiques, couteuses en temps, en personnels, en stress pour les jeunes et leurs familles). • Revoir tous les dispositifs d'échanges internationaux (formation et recherche) en y ajoutant l'angle de la protection de la planète (sur ce point la même rigueur doit s'appliquer aux séminaires organisés à l’étranger par les entreprises). • Améliorer les bourses d’études et tous les aspects de l'emploi et des rémunérations pour toutes les catégories de personnel (volumes de recrutement, tarif des heures complémentaires,...) en donnant à nouveau sens à la collégialité et au principe de subsidiarité • Supprimer les superstructures de normalisation (HCERES, ANR) en revitalisant le rôle d'instances élues au périmètre d’action clair en y associant la représentation nationale ; restaurer la plénitude des libertés académiques. Il est temps pour la France de solder l’impasse de la loi LRU – encore plus de déjouer les pièges d’une fuite en avant essentiellement européenne et technocratique telle qu’envisagée du côté d’E. Macron comme de V. Pécresse. Donner des moyens et du temps pour l’enseignement supérieur et la recherche dans une perspective humaniste de service public est-ce rêver ?
par Jean Fabbri 17 oct., 2021
Car Thierry Coulhon est certainement la meilleure incarnation des dérives de ces 15 dernières années: président d’université au moment du vote de la loi LRU en 2007, il en a accompagné voire inspiré nombre d’évolutions ultérieures qu’il a mises en œuvre avec un zèle peu commun jusqu’à devenir conseiller du président E. Macron puis président controversé du HCERES. Par milliers, chercheurs des organismes publics et universitaires n’en peuvent plus. Confrontés à la fois le plus souvent à une baisse des crédits récurrents de fonctionnement (auxquels ne peuvent se substituer d’incessants appels à projets) et toujours à une bureaucratie envahissante. Quelle hypocrisie que d’appeler sans cesse à la mobilisation de toutes les forces scientifiques pour l’innovation et l’excellence, concepts plus politiques que scientifiques, et en même temps détourner de leur pratique scientifique qui exige liberté et temps au moins 15% du potentiel de ses acteurs. Depuis 2007, aggravant la situation précédente, au lieu d’une confiance dans le travail et l’esprit de responsabilité des chercheurs et universitaires du service public, se sont mis en place à la fois des dispositifs dits « d’évaluation » et des administrations pléthoriques pour encadrer, surveiller, « accréditer » des laboratoires et des filières de formation universitaires qui n’en peuvent plus de remplir des milliers de page de documents (pour lesquels parfois sont sollicités des « experts » et cabinet de consulting payés à prix d’or – sommes prélevées sur les budgets qui devraient être consacrés à l’exercice réel des missions de formation et/ou de recherche). Parlons financements : le budget de l’Etat accorde plus de 7 milliards au « crédit impôt recherche », sait-on assez que des grandes sociétés de distribution, des banques, aux chiffres d’affaire et aux résultats largement bénéficiaires, émargent pour des sommes considérables à ce CIR, lequel de facto ne sert dans ce cas qu’à alimenter les revenus des actionnaires. Comme l’ont dénoncé depuis l’origine les syndicats et après plus de 15 ans de mise en oeuvre des analyses économiques (le parlement par une commission, et dernièrement encore Thomas Piketty), le CIR doit être complètement réorienté. Avant tout pour le recrutement de nouveaux chercheurs et universitaires, pour la revalorisation de leurs carrières comme pour mettre un terme à tous les dispositifs malthusiens qui freinent l’accès aux études supérieures tant en licence qu’en master. Cela suppose donc aussi des investissements dans les locaux et le matériel, comme dans les mécanismes de soutien (financiers toujours et pédagogiques parfois) aux étudiant.e.s en particulier celles et ceux issu.e.s des milieux les plus modestes. Rejoignant Thierry Coulhon espérons que les campagnes électorales à venir mettront ces questions au cœur, mais en redonnant enfin sens à l’action parlementaire à l’opposé des conceptions verticales du management de la science qu’illustrent si bien dans leur inefficience tant lui-même qu’Emmanuel Macron.
par Jean Fabbri 30 sept., 2021
Pour celles et ceux qui croient en la pertinence du modèle de service public appliqué à l’enseignement supérieur et à la recherche à la fois pour l’égalité d’accès, pour la bataille afin de construire l’égalité des chances en matière d’enseignement et de reconnaissance des diplômes ; comme pour les libertés académiques et le refus de la confiscation des avancées scientifiques et techniques en vue du seul profit de groupes privés, cette configuration à la tête de l’université de Tours est une aventure à suivre et à soutenir. Au-delà de Tours il y a là une conception et des pratiques qui peuvent inspirer d’autres universités et peser sur les indispensables évolutions législatives pour l’enseignement supérieur et la recherche. Expliquons-nous ! La période de renouvellement des conseils centraux des universités 2019-2021 a été très perturbée par la crise sanitaire. Confinement, activités à distance,…se sont ajoutés aux difficultés structurelles de la plupart de ces établissements confrontés à une augmentation nationale importante du nombre d’étudiants (+300 000 au niveau national en 10 ans) et une diminution du nombre d’enseignants-chercheurs titulaires (-1200 sur la même période) dans le cadre de dotations budgétaires très en retard sur les standards européens. Depuis la loi « Libertés et Responsabilités des Universités » (LRU) de 2007 (Sarkozy-Pécresse), conçue dans une logique libérale de concurrence entre les établissements, si les budgets des universités dépendent dans une très large mesure (environ 80%) d’un financement d’Etat attribué de manière opaque par le ministère, leurs exécutifs sont désignés par le Conseil d’Administration (CA) dans lequel les personnels n’occupent qu’une place réduite. A Tours, par exemple, ce CA est composé de la manière suivante: 22 élu.e .s des personnels, 6 étudiant.e .s et 8 personnalités qualifiées parmi lesquelles 3 représentants des collectivités territoriales. Les activités des enseignants-chercheurs bien qu’elles relèvent toutes pour une large part de pratiques ou de moyens collectifs et partagés sont dévoyées par la concurrence qui s’exerce dans les financements (sur appels à projets) de leurs activités de recherche. Ces aspects s’ajoutent au glissement opéré par la loi LRU d’un fonctionnement collégial à une logique présidentialiste, et favorisent une vision et des votes institutionnels et « légitimistes ». En outre le contexte social général dans le secteur privé comme dans les services publics est marqué par le discrédit des organisations syndicales. Si ce discrédit est pour une large part le résultat d’une intense bataille idéologique et pratique du patronat et des gouvernements successifs peu enclins à entendre les revendications exprimées par les syndicats, une perte du lien (élaboration des revendications, épuisement du modèle de « représentation », distorsion à l’éthique de l’engagement, concurrence entre organisations,…) y est aussi en cause. Comme dans d’autres secteurs et, dans le monde universitaire à l’occasion de plusieurs épisodes aigus de tension avec les pouvoirs publics, des collectifs, le plus souvent éphémères, se forment pour exprimer une bien légitime colère. Au fil des ans l’université de Tours a vu ainsi se succéder des succursales locales de « sauvons la recherche », « sauvons l’université », « science en marche » cohabitant plutôt bien avec la section locale SNESUP de la principale organisation syndicale d’universitaires. Ce même dispositif large s’est trouvé à l’initiative d’Etats Généraux de l’université de Tours, tenus en janvier et mars 2020 donnant l’occasion à plusieurs centaines de personnels d’exprimer leurs difficultés et de formuler des revendications tant globales que locales. C’est dans ce contexte que se sont tenues les élections universitaires en octobre 2020. L’université de Tours est l’une de celles (seulement un peu plus de la moitié) où s’est constituée au moins une liste structurée avec une ou plusieurs organisations syndicales. En l’occurrence ici deux : une liste « l’université ensemble » (LUE) avec un rôle moteur du SNESUP-FSU et Sup’Recherche-UNSA et la FERC-CGT ; et une liste « autrement » appuyée sur le SGEN-CFDT. Lesquelles listes affrontaient dans ce scrutin celle constituée par le président sortant autour de son bilan et de sa personne. A l’issue du vote des personnels les rapports de force au CA étaient les suivants : LUE 9 élu.e.s ; « autrement » 3 élu.e.s ; « président sortant » 10 élu.e.s. Tours devenant l’une des universités (7 sur 80) où l’expression du vote des personnels s’inscrit de manière significative dans la contestation à la fois des orientations régressives nationales en terme de statuts, de budgets, de conditions de travail et des dérives présidentialistes locales…et se traduit par la présence d’un groupe cohérent d’élu.e.s syndicaux ou proches au sein du CA. Comme on l’a vu plus haut l’élection de l’exécutif de l’université (président.e et vice-président.e.s), qui d’une certaine manière fixe le cap des orientations pour les 4 années du mandat, n’est pas pour autant acquise puisqu’il faut réunir au sein du CA une majorité de 19 sièges. L’élection d’Arnaud Giacometti, présenté par le collectif LUE, en novembre 2020 comme président de l’université de Tours, est non seulement le fruit du succès dans les votes des personnels mais aussi, en plus de ses qualités propres, celui d’une longue et patiente dimension unitaire dans l’activité locale syndicale (en particulier du SNESUP qui a porté sa candidature). Démarches et pratiques inscrites à la fois au sein de l’université de Tours comme auprès des collectivités territoriales et des forces politiques qui en assument l’expression. En « interne », auprès des personnels c’est essentiellement la lettre d’information régulière de la section SNESUP, « La Lettre d’Alcofribas » éditée depuis 2004 qui construit un lien confiant sur une cohérence dans la défense du service public universitaire et de ses personnels en particulier les plus précaires. Ce lien, comme la dynamique électorale qui a poussé le collectif LUE, en tête à la fois dans le collège électoral le plus nombreux et sur le site administratif de la présidence de l’université, a conduit le SGEN-CFDT -et le collectif « autrement » qu’il inspire- à converger sur une plateforme de direction de l’université et sur la candidature Giacometti. Avec les élu.e.s étudiant.e.s (4 FAGE, 1 UNEF, 1 UNI) cette addition des forces, comme nos propositions en matière de budget participatif, d’élargissement des moyens du service de santé universitaire, ont permis de surmonter pour plusieurs d’entre eux les réticences exprimées à l’encontre des organisations syndicales non réformistes. Quant à la Région, son exécutif et ses représentants dans les instances de l’université avaient pu mesurer, malheureusement sans jamais les entendre à temps, la pertinence des analyses du SNESUP et de ses élu.e.s sur les nombreux avatars des mises en cohérence/coordinations territoriales de l’enseignement supérieur et de la recherche (PRES, ComUE,…). Ainsi à quelques mois des élections régionales de 2021 pour lesquelles la majorité rassemblée autour du socialiste François Bonneau semblait fragile, l’implication de ses élu.e.s dans un vote contre le candidat soutenu par la totalité des organisations syndicales à la présidence de l’université aurait été un curieux signal. Il en a été de même avec la Métropole de Tours, passée à ce moment, suite aux élections municipales de juin 2020 sous la direction d’une majorité relative PS-EELV avec la présidence de Wilfried Schwartz suite à la victoire d’Emmanuel Denis à la tête d’une liste (EELV-PS-PCF-FI) dans la ville de Tours. C’est ainsi à l’issue d’une double démarche unitaire-en interne et auprès de son environnement économique et social- que le vote décisif du Conseil d’Administration s’est tenu. Cette nouvelle situation crée, selon moi, deux obligations essentielles quant à notre système de représentation. La première est le respect des engagements. Le changement de direction et les nouvelles orientations et pratiques démocratiques mises en œuvre localement, comme l’expression critique sur les budgets et les modifications règlementaires impulsées par le gouvernement sont un fait inédit à l’université de Tours…et dans le contexte politique et social national peu favorable, il s’agit d’un cas quasi unique. Avec l’université de Rennes 2, Tours est la seule université dirigée à partir de l’élection d’un CA produisant une majorité de la quasi-totalité de l’arc syndical. Jusqu’ici, 10 mois après cette élection, ce cap est tenu, le climat social au sein de l’université est nettement apaisé, des marges budgétaires –certes encore insuffisantes- ont été arrachées aux tutelles, la séparation des fonctions de président de l’université et de président.e du Conseil Académique a été adoptée et mise en place créant ainsi une respiration démocratique majeure en rupture nette avec la présidentialisation outrancière prônée par la ministère et pratiquée par la plupart des président.e.s d’université. Comme les stratégies qui l’ont permis et dont les effets perdurent, ont ainsi émergé de réels points d’appui pour défendre le service public universitaire, ses missions, ses personnels. Cette configuration nouvelle n’est pas sans conséquence pour les organisations syndicales de l’université : maintenir voire élargir leur lien avec les personnels (dans la diversité des métiers et des situations statutaires) sans s’effacer derrière l’exécutif qu’elles ont contribué à mettre en place ; engager réflexions, propositions et actions collectives en préservant leur indépendance et malgré la difficulté dans le renouvellement des responsables syndicaux qu’a entrainé l’accès à des fonctions dans l’équipe de direction pour plusieurs collègues. Reste une autre dimension, liée aux missions de l’université, singulièrement dans une métropole de taille moyenne comme Tours, où les interactions entre l’université et le tissu économique, social, environnemental et culturel sont essentielles pour les populations et donc un enjeu pour les forces politiques qui agissent et dirigent les collectivités territoriales. Beaucoup d’entre elles réfléchissent à une démocratie plus vivante, plus proche des préoccupations et des nouvelles formes d’engagement des citoyens : à sa mesure l’université de Tours procède désormais à de telles expérimentations. Dans le même mouvement qui a vu un très large éventail des organisations syndicales de l’université de Tours apporter leur contribution décisive à son changement de cap, il apparaît indispensable que sur l’échiquier politique les forces progressistes et écologiques regardent avec attention et responsabilité ce qui se dessine ici et y apportent leur soutien. Il y va du présent à Tours et de l’avenir ici et bien au-delà !
par Jean Fabbri 05 mai, 2021
Aujourd’hui existe-t-il une stratégie syndicale du SNESUP? Si on y réfléchit bien, la question n’est pas si naïve : qui aujourd’hui en 2021 peut identifier une démarche de cette nature qu’elle relève des décisions de congrès (ou au moins de la CAN tant les enjeux relèvent bien d’une délibération démocratique et pas d’une impulsion de l’exécutif de direction) ou pour le moins d’une orientation nette de l’un des courants de pensée AS ou EE-PSO qui se partagent la direction du syndicat. On trouve la même impasse sur cette question centrale dans le rapport d’activité et la plupart des textes préparatoires au congrès…alors que peuvent apparaître pour les adhérent.e.s du SNESUP, les différences entre ces courants de pensée sur la conception du syndicalisme et le fonctionnement du syndicat (démocratie, rapport local/national,…). Il ne s’agit pas de confondre stratégie et « propositions ». Comme mentionné plus haut, l’histoire du syndicat, sa présence dans les établissements, dans les batailles revendicatives depuis des dizaines d’années, dans les instances nationales comme le CNESER, le CTU, les CAPN (pour nos collègues du second degré) pour lesquelles il se présente avec des plateformes électorales, rendent le SNESUP inégalable en matière de « corpus revendicatif ». Les organisations syndicales concurrentes construisant les leurs par effet de démarquage sur quelques points. Sur les aspects « analyse des logiques politiques » et « propositions alternatives » le SNESUP présente donc pour les collègues une cohérence nationale (qui ne lui est pas si singulière, comme mentionné plus haut) et des identités locales contrastées fruits des aléas de ses implications dans les exécutifs universitaires. Il ne s’agit cependant pas là -et cela ne constitue pas -une stratégie. Qui dit stratégie dit moyens organisés de réaliser les objectifs revendicatifs dans un horizon temporel raisonnable. Si l’enseignement supérieur et la recherche public ce sont environ 200 000 personnes salari.é.s permanent.e.s (dont moins de 70 000 dans le champ de syndicalisation du SNESUP et environ 20 000 dans celui du SNASUB), c’est aussi plus de 2 millions d’étudiant.e.s ! Pour beaucoup, dans et hors le monde universitaire, cette donnée encore amplifiée par la « peur » qu’inspire à tous les gouvernements les mouvements étudiants, fait des revendications professionnelles des universitaires des variables d’ajustement en marge des avancées que peuvent obtenir des luttes étudiantes. Il incomberait ainsi au SNESUP voire plus largement à la mouvance attachée au service public universitaire d’accompagner (en amont comme en aval) les colères étudiantes. Encore faut-il que ces colères se manifestent et qu’elles mettent en avant des revendications qui ne seront pas dévoyées (pensons à la conception de la « professionnalisation » qui s’est imposée ces 10 dernières années). Pour de nombreux collègues cette forme de lutte par procuration s’est petit à petit imposée comme la seule possible, de même que sur un plan plus général les grèves des salarié.e.s des transports (SNCF et RATP surtout) sur les enjeux de la protection sociale et des retraites. Cette vision qui peut être enrobée de l’habillage « convergence des luttes » ne constitue pas une stratégie pas plus qu’une conception du syndicat (largement présente du côté EE-PSO) qui en fait par essence une structure dispensatrice de moyens aux collectifs proches pour aider à leur auto-organisation (sic). Quelle stratégie alors ? Pour construire un rapport de forces favorable aux revendications pour le service public d’enseignement supérieur et de recherche (tant dans ses missions, que pour ses personnels et étudiant.e.s), il indispensable d’associer les dimensions spécifiques aux métiers d’enseignement et de recherche (et parmi elles, celles évoquées plus haut) dans leurs déclinaisons locales et nationales en fixant un horizon, des étapes et des moyens. • Faire de chaque renouvellement des conseils centraux dans tous les établissements un élément de cette bataille globale et associer à celle-ci les élections dans les composantes (UFR, Ecoles internes,…) et celles de leurs directions. • Rendre public, engranger, solidariser les succès ; fédérer les élu.e.s et les exécutifs s’inspirant des revendications syndicales. • Associer autour et dans le syndicat, sans exclure des modifications organisationnelles du SNESUP, le plus grand nombre de collègues (qu’ils ou elles soient déjà organisé.e.s ou non) avec une double exigence : 1. syndiquer massivement les doctorant.e.s sur contrat (salarié .e.s) et les précaires 2. valoriser et donc réhabiliter la démocratie syndicale comme règle lisible de délibérations (alors que collectifs et structures informelles contournent cette dimension essentielle). • Gagner la majorité dans le plus grand nombre d’instances universitaires et valoriser ces succès : établissements, réseaux de directeurs d’UFR, sections du CNU, CP-CNU, CPU. • Interroger et agir contre l’émiettement syndical en priorité avec nos camarades du SNCS, du SNASUB, de la CGT, de Solidaires. Cela construit un ensemble d’objectifs, une chronologie, c’est l’élément essentiel d’une dynamique de luttes sociales qui, liant de manière indissociable fins et moyens, contribuera autant à l’invention d’une nouvelle citoyenneté universitaire qu’à ce que nous souhaitons d’indispensables bouleversements législatifs et budgétaires. Jean Fabbri, avril 2021
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